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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

tale entra. Je ne pourrai plus désormais, tant que ma mort durera — et ma vie aussi, l’espérai-je — nommer autrement Mlle Robin. Vestale, elle l’était par le culte dont elle entourait mon être immobile. Vestale, par l’amour qu’elle portait à Ninette, prolongation de ma race, course de mon flambeau millénaire. Vestale, par le souci prosaïque qui l’amenait de renouveler les deux bougies prêtes à s’achever, de disposer dans une coupe contenant l’eau bénite le feuillage de buis. Elle obéissait aux commandements de sa religion, comme à toutes les traditions de la vertu, sans une défaillance. Elle entretenait la flamme symbolique… L’autre, la sacrilège, n’y eût jamais pensé. Elle m’eût laissé moisir dans le noir. Ses soucis n’allaient qu’à l’ostentation, à la mode, à la nature du crêpe, qui, veuve, l’embellissait le mieux.

Talonnée par l’ordre de rester avec Ninette, la Vestale fit vite. La flamme ravivée me montra ses épaules semblant porter une croix, son visage aminci, ses beaux yeux plus profondément encadrés de lassitude, de chagrin.

Lucienne avait dû aller à ses courses, car elle ne reparut pas chez moi. Mais elle avait délégué à mon chevet Mme Godsill, pour recevoir les visites. Celle-ci s’en vint, apportant mes Chants à l’aurore, le premier de mes volumes de vers, sans doute, qu’elle se décidât à ouvrir. Elle avait bien déjeuné. Elle alluma le lustre, s’installa pesamment dans une bergère et se mit à lire. Au bout de deux minutes, elle bâillait déjà prodigieusement. Digestion ou lecture ?… Lecture. Mais je ne fus guère marri. Ces accents-là n’étaient pas pour elle. Divorcée frénétique, elle ne vibrait qu’à la cacophonie du dancing, au xylophone, à l’accordéon des Noirs. Elle abandonna mon œuvre et se promena dans la chambre.

— Tiens ! la tapisserie n’y est plus !… remarqua-t-elle, tout haut.

C’est vrai, mon morceau du xive siècle, je n’y pensais plus…