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LES BRAVES GENS.

son enfant. Elle a toujours la même figure si douce, si bonne, tantôt si pensive et tantôt si gaie. Elle ne perd pas la tête un seul instant ; elle prévoit tout ; elle songe à tout ; elle organise tout. Quand le jeune ménage est parti pour passer un mois à Paris, elle reprend sans effort le cours de sa vie active et utile. Elle a du chagrin certainement, mais presque personne ne s’en aperçoit et personne n’en souffre.

Le départ de Marguerite a resserré encore les liens si étroits qui unissent la famille. Que pourrais-je faire pour consoler maman ? se demande Jean à toute heure du jour. Ce désir ardent de plaire à sa mère fait qu’il surmonte sans trop de difficulté l’ennui que lui causent les déclinaisons latines. M. Sombrette est émerveillé, il parle avec enthousiasme de son petit élève.

Jean cependant se lève à six heures et se couche à neuf. Il est si consciencieux dans l’accomplissement de sa tâche, qu’il travaille quelquefois une partie du jeudi. Pour trouver le temps de tout faire, il a fallu supprimer la collation du jeudi : cela lui a fait un peu de peine, mais c’est lui-même qui l’a proposé. Sa mère l’a laissé libre, et il a persévéré. L’oncle Jean, admis à la confidence de sa résolution héroïque et de sa persévérance, dit que cela mérite récompense. Mme Defert modère son enthousiasme, et assure qu’il vaut mieux lui laisser pour récompense la satisfaction d’avoir bien fait, sauf à lui donner plus tard des compensations qui n’auront pas l’air de le payer de son sacrifice.

« Parfaitement juste, dit l’oncle Jean ; un sacrifice payé n’est plus un sacrifice. »

À quelque temps de là, il parle comme par hasard d’équitation et d’escrime : Jean bat des mains, et l’oncle est officiellement chargé de son éducation militaire.

Toutes les fois qu’il revient du collège Sombrette, Jean a mille choses à raconter. Mme Defert et Marthe connaissaient la légende de cet établissement mieux que M. Sombrette lui-même. Elles savent à point nommé que l’élève Tonquin interrogé sur l’adjectif unus, a répondu qu’il faisait au génitif uni, et que M. Sombrette a été très-indigné. (Et il y a bien de quoi, n’est-ce pas ?) Que Roussel a su, sans en manquer un mot, le Tableau synoptique des cinq déclinaisons. (Ce qui est bien agréable pour les parents de Roussel.) Qu’un autre a traduit nous admirons par admiramus, comme si admirari n’est pas un verbe déponent (on l’avait encore dit la veille) ; qu’un autre met aux