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LES BRAVES GENS.

mouches des queues en papier (ce qui doit bien les faire souffrir !) Le Selectæ est difficile ; mais quand on s’applique bien, on y arrive tout de même.

Peu à peu ses confidences sont moins naïves, sans cesser d’être moins franches ; il n’est plus si préoccupé des petits épisodes classiques, il l’est davantage des idées nouvelles qui se font jour à travers l’explication des textes. Il commence à discuter sérieusement avec Marthe le mérite de certains grands hommes de l’antiquité. Il traite avec sa mère la question des conquérants. Comme elle a peu de goût pour les conquérants qui n’ont été que conquérants ; comme elle fait peu de cas des vertus d’apparat et des mots à effet ; comme elle ramène à leur juste valeur un certain nombre de traits trop vantés et trop souvent offerts à l’admiration des écoliers, Jean émerveillé ne peut s’empêcher de lui dire : « C’est étonnant, tu n’as pas cependant appris le latin ; eh bien ! tu me dis presque les mêmes choses que M. Sombrette. »

Il a des controverses en règle avec Justine la cuisinière, au sujet de ces plats de la cuisine antique, le moretum et le brouet noir. Justine, au nom des principes, condamne les deux plats et les flétrit même du nom diffamatoire d’abominables drogues. Jean en appelle à sa mère, qui lui répond qu’en fait de cuisine Justine est une autorité compétente, et qu’il faut tenir compte de son opinion. Il abandonne le moretum et le brouet à leur malheureux sort ; mais il lui reste de cet incident une idée juste, c’est qu’il faut interroger chacun sur ce qu’il sait le mieux, et ne parler soi-même que de ce que l’on sait bien.

C’est pour cela qu’il interroge l’oncle Jean sur les ordres de bataille. Quelquefois l’oncle Jean ne comprend rien aux renseignements de certains auteurs, et se demande si ce ne seraient pas de simples civils qui auraient osé faire des descriptions militaires. Il comprend très-bien les descriptions de César (dans la traduction, bien entendu) ; mais il est arrêté tout net à la construction d’un certain pont que César jette sur le Rhin, au livre IV des Commentaires. « Ça, dit-il, c’est l’affaire des ingénieurs. » Jean consulte M. Nay, devenu son meilleur ami. M. Nay se fait un plaisir d’étudier le passage, et dessine pour Jean le pont de César. Jean le place dans ce qu’il appelle sa « collection », où il a déjà une aquarelle de Marthe, deux assignats, et une chromolithographie représentant des Pêcheurs de crevettes.

Pendant tout son séjour chez les Sombrette, Jean fut comme les