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LES BRAVES GENS.

d’être un membre de la famille Loret pour que la nature vous fît croître ces villosités sur le dos, comme le poil sur le dos des jeunes oursons.

Le matin même du jour où Mme Defert fit inscrire son fils sur les registres du collège, M. Loret revenait de quelque expédition matinale, et pressait le pas en voyant à l’horloge de Saint-Lubin que midi allait bientôt sonner. Il était encore à vingt-cinq pas de la petite porte verte, que déjà une odeur bien connue venait réjouir ses nerfs olfactifs ; il se hâta de sonner.

« Celle-là doit être bien bonne ! dit-il en soulevant le couvercle de l’immense soupière fumante, car on la sent depuis le coin du pharmacien. » Les plus jeunes Loret poussèrent des cris d’enthousiasme ; les aînés se contentèrent de sourire silencieusement. Pendant toute cette première partie du festin, on ne dit pas grand’chose, mais, en revanche, les cuillers de fer battu sonnaient un bruyant carillon sur les assiettes de caillou.

Il n’y eut aucun incident remarquable, si ce n’est que le no 5, en réponse à une remarque désobligeante du no 4, lui versa une cuillerée de soupe dans le cou. Le no 4 (une fille) se mit à crier de toutes ses forces ; mais sa mère la consola en lui disant qu’il n’y paraîtrait plus le jour de son mariage. Cet argument parut convaincre la jeune personne ; elle avait, en effet, tout le temps de se guérir, si les jeunes gens continuaient à ne plus vouloir de femmes sans dot.

« Qu’est-ce que nous avons ensuite ? » dit M. Loret en voyant disparaître la ménagère dans les régions de la cuisine.

Le no 8 (une fille) vient coller ses lèvres à l’oreille du papa, pour lui dire, sous le sceau du secret, qu’il y a des saucisses. Le no 9 (un garçon), entendant ces paroles magiques, fait voler au loin son assiette de bois en signe d’allégresse. Le no 1, autrement dit Camille, le successeur de M. Aubry, se lève d’un air de bonne humeur, ramasse l’assiette de bois et la rend au bébé. En passant, il lui donne un baiser retentissant, pour l’engager sans doute à lancer, la prochaine fois, son assiette par la fenêtre.

Les saucisses arrivent toutes brûlantes et toutes frémissantes. Il y a un silence d’admiration ; puis le chef de la tribu procède au partage du butin. Un des cochons d’Inde moroses risque son nez à la porte ; il se décide à entrer, et fait le tour de la salle en trottinant, et en rasant la muraille. Le second cochon d’Inde accomplit la même prouesse, suivi de près par le troisième ; ils piquent droit devant eux, tout