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LES BRAVES GENS.

qui renifle tout le temps : c’est un tic ; » et autres renseignements tout aussi intéressants. Jean était sorti fort tranquillement. Il fut rejoint par Tonquin, qui lui demanda s’il était vrai que Lepéligas l’eût menacé de lui aplatir le nez.

« C’est vrai ! » — Et il tourna sans affectation le coin de la ruelle qui conduit au mail. Tonquin le regardait avec admiration.

Le mail était désert. Jean se promena avec son camarade, qui n’en revenait pas de le voir si peu préoccupé. Comme il lui parlait de son affaire :

« Je suppose, dit Jean, qu’il vaut mieux en finir une bonne fois. Je te prie de croire que j’aimerais bien mieux rentrer à la maison que de me colleter avec Lepéligas, à propos de rien ; mais comme je vois que tôt ou tard il en faudra passer par là, j’en prends mon parti.

— Mais es-tu bien sûr qu’il n’est pas plus fort que toi ?

— Je n’en sais rien, puisque je ne le connais que de vue ; mais je sais que je ne dois pas reculer, et je ne recule pas : voilà tout ! »

Un groupe fort animé venait d’envahir le mail. Au centre s’avançait l’autre champion, qui gesticulait beaucoup et qui parlait très-fort. Il perdit un peu de sa jactance quand il vit venir Jean qui marchait droit à lui, d’un pas calme et sûr. La rencontre eut lieu près d’un joli massif de jeunes thuyas, plantés là, pour orner le mail, par les soins de la municipalité.

Jean tira le billet de son portefeuille, l’ouvrit et le présenta à Lepéligas :

« On me dit que c’est vous qui avez écrit ce billet.

— Oui, c’est moi, répondit Lepéligas d’un ton hargneux, et je…

— Pardon, reprit Jean avec beaucoup de sang-froid, c’est bien à vous que je dois avoir affaire ?

— Et puis après ? hurla Lepéligas, d’un ton que lui eût envié un gamin de l’école mutuelle.

— Après ? Je tiens à faire constater par nos camarades que ce n’est pas moi qui ai commencé ; je ne fais donc que me défendre, et je suis fâché d’avance de ce qui va vous arriver. »

La politesse de Jean irrita si fort son adversaire, que, l’indignation lui tenant lieu de courage, il s’élança en avant, les poings fermés.

Jean, pris à l’improviste par cette attaque déloyale, n’eut que le temps de jeter ses livres, que Tonquin ramassa. Puis, en digne élève de l’oncle Jean, il esquiva le choc de son brutal adversaire, et lui assena au passage un remarquable coup de poing sur le nez.

« Le nez me brûle ! cria Lepéligas, en prenant à poignée l’organe