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LES BRAVES GENS.

— Il dit que cela ne le surprend pas, croirais-tu cela ? Mon effet est manqué. Il dit qu’il savait bien qu’un bon garçon comme moi ne voudrait pas lui faire de chagrin.

— Mais enfin, il est content ?

— Il ne le dit pas ; mais il m’envoie vingt francs. Toutes les fois que mon père est particulièrement content de moi, il me donne cinq francs ; cette fois-ci, il m’en envoie vingt ! En vingt combien de fois cinq ? Quatre fois ! Conclusion, il est aujourd’hui quatre fois plus content que d’habitude. »

En prononçant ces derniers mots, Robillard repoussa la chaise et se mit lestement sur son séant. Il tira de la poche de son gilet une pièce de vingt francs toute neuve.

« Regarde-moi ça », dit-il, et il se mit la pièce d’or sur l’œil, en manière de lorgnon ; puis il la jeta plusieurs fois en l’air, la rattrapant tantôt sur la paume, tantôt sur le dos de la main. Puis il se remit brusquement sur le dos.

Jean ne put s’empêcher de rire de la dextérité du futur docteur. « Il me semble, lui dit-il, que tu feras un fameux chirurgien. » Robillard ne daigna pas répondre à ce compliment, mais continuant la conversation comme s’il ne s’était rien passé :

« Moins désintéressé, dit-il, que mon futur patron Hippocrate, je n’ai pas refusé les présents d’Artaxerxès, et cela pour deux raisons. La première, c’est que cela aurait fait de la peine à Artaxerxès ; la seconde, c’est que je suis très-heureux d’avoir en ma possession cette petite fortune. »

Jean se demanda si son ami ne serait pas un peu avare.

« Quand je me suis vu si abominablement riche, reprit Robillard, je me suis demandé ce que j’allais faire d’une si grosse somme. Ma première idée a été de régaler toute la cour de chaussons aux pommes et de tartes à la crème, alin de reconquérir un peu de la popularité que ma sagesse m’a fait perdre. Mais je me suis dit que ma popularité ne valait pas vingt francs, et j’ai résolu de faire un meilleur emploi de mon argent. Après déjeuner, nous demanderons à ta mère la permission de faire une promenade ; nous louerons des chevaux, et nous irons à la Grenadière : c’est la ferme où demeure ma tante Edmée. Il n’y a pas quatre lieues, et nous serons de retour pour le dîner. J’aimerais bien aller embrasser ma tante : il y a très-longtemps que je ne l’ai vue ; elle commence à se faire vieille, son asthme la tourmente, et elle ne peut plus supporter la voiture ; par conséquent, on