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LES BRAVES GENS.

dans une calèche, qu’ils ont volée, Dieu sait où. Ça a l’air d’une escorte. Les individus ont des collets jaunes avec des capotes bleues.

— Ce sont des dragons, » dit Jean. Et il réunit ses hommes en un groupe pour se consulter avec eux.

« Ça y est ! répondit un des soldats, nous ne demandons pas mieux que de vous suivre.

— Nous allons vous venger, dit Jean au paysan ; mais il faut que vous nous guidiez au moins jusqu’à portée de votre ferme. Peut-on arriver jusque-là à couvert ?

— Il y a, répondit le paysan, un dos de plaine où il faut passer à toute force, et où il n’y a pas moyen de se cacher. Mais par ce brouillard-là on y passera sans danger. Il y a devant la maison, mais de ce côté-ci du chemin, des haies, des noyers et des tas de fagots et de souches. On peut arriver là tout doucement, et sauter par-dessus le chemin. »

Lorsque Jean eut donné toutes ses instructions dans le plus grand détail :

« En marche ! dit-il gaiement en regardant sa montre, voilà qu’il est deux heures, peut-être qu’à trois heures il y aura du nouveau. Le gros père qui est dans la calèche doit avoir un portefeuille, et ce portefeuille doit contenir des choses intéressantes. Quel coup de filet ! Seulement que chacun fasse bien exactement ce que je lui ai dit : pas de coups de tête ! Il nous faut absolument réussir pour nous faire pardonner notre audace.

— Mais, dit le paysan, vous êtes des soldats vous autres ; vous faites votre affaire, rien de mieux ; mais ils me pendront, moi, s’ils me prennent avec vous.

— Une fois en vue de la ferme, vous serez libre de vous retirer. En tout cas, il le faut ; n’êtes-vous pas un bon Français ?

— Je suis aussi bon Français qu’un autre, dit le paysan en se grattant l’oreille ; mais chacun tient à sa peau.

— Assez ! dit Jean de ce ton d’autorité qu’il savait prendre à l’occasion. Il le faut ! » Le paysan le regarda d’un air surpris et se mit en devoir d’obéir.

Le paysan marchait en tête, Jean et les soldats le suivaient à la file, avec les plus grandes précautions, à travers les sillons durcis. À un certain endroit, le terrain se renflait : c’était le passage dangereux. Mais le brouillard était si épais que l’on ne voyait pas à trente pas devant soi. Là on obliqua sur la droite, et au bout de deux cents pas