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LES BRAVES GENS.

— Tiens ! lui répondit M. Sombrette avec un grand calme, vous crochetez donc les serrures maintenant ? C’est toujours bon à savoir. »

Le docteur feignit de n’avoir pas entendu cette observation, et, balançant le cahier au-dessus de sa tête, il criait comme un fou : « Qu’est-ce que c’est que cela ?

— Cela, dit M. Sombretle, c’est un cahier.

— Et qu’est-ce qu’il y a sur ce cahier ?

— Ce qu’il y a sur ce cahier ?

— Oui ! oui !

— Il y a la vérité. J’imagine que vous n’avez pas poussé la discrétion jusqu’à ne pas lire ce cahier. Donc, vous savez aussi bien que moi qu’il n’y a pas un seul mot qui ne soit exact.

— Oh ! exact, ne dites pas cela, reprit le docteur exaspéré.

— Parfaitement exact, reprit M. Sombrette en aspirant longuement une prise de tabac.

— Tenez, tenez ! dit le docteur en jetant le cahier par terre et en trépignant dessus avec fureur, voilà comme c’est exact !

— La preuve n’est pas bien convaincante.

— Taisez-vous, taisez-vous ! ou bien, moi, je vous ferai fusiller, je vous ferai emmener en Allemagne.

— Soyons logiques, docteur. Si vous me faites fusiller, vous ne pourrez pas m’envoyer en Allemagne. »

Le docteur, comme s’il eût été piqué de la tarentule, trépignait toujours sur le corps du délit.

« Allons, dit M. Sombrette en souriant, je vois que vous n’aimez pas la vérité. »

Dès le soir même, M. Sombrette fut mandé chez le sous-préfet prussien, qui lui demanda froidement s’il avait envie de faire un tour en Allemagne.

« Pas le moins du monde, répondit-il. Je dirai avec La Fontaine :

« Dieu vous préserve du voyage. »

— Je vous ferai partir avec le premier convoi de prisonniers, si vous écrivez encore des libelles contre les armées de S. M. l’Empereur et Roi. » M. Sombrette se tint pour averti ; sachant qu’aucun coin n’était à l’abri des fureteurs, il résolut de ne plus rien écrire, et il résolut tout aussi fermement de continuer son œuvre.

« Comment vous y êtes-vous pris ? demanda avec curiosité le vieux juge à qui il racontait son aventure.