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LES BRAVES GENS.

abandonnés, les fermes l’étaient complètement. La pauvre mère regardait d’un œil désespéré la campagne immense. Dieu ! que ces champs funestes gardaient bien leur secret ! Chaque jour cependant elle se remettait à l’œuvre, et chaque jour elle rentrait à Vendôme, mourante de fatigue, sans avoir rien découvert qui pût la mettre sur la voie. Une fois, elle poussa ses recherches plus loin qu’à l’ordinaire des renseignements qu’elle avait reçus. À l’entrée d’un village, elle fut arrêtée par un accident trop facile à prévoir. Le malheureux cheval qui traînait sa carriole tomba d’épuisement, et il fut impossible de le relever : il mourut sur place.

Que faire ? La plupart des maisons du village étaient fermées. Les quelques malheureux que la crainte de l’ennemi n’avait pu décider à quitter leur pauvre foyer ne répondaient qu’avec défiance et ne pouvaient d’ailleurs être d’aucun secours.

Enfin une pauvre vieille femme, touchée de l’air souffrant et triste de Mme Defert, la pria d’entrer se reposer. Quand elle connut le malheur de Mme Defert, et tout ce qu’elle avait bravé déjà de souffrances, de fatigues et de dangers pour arriver à son but :

« Hélas, ma pauvre mignonne, dit-elle avec une affectueuse familiarité, que je vous plains ! Que je voudrais donc vous être bonne à quelque chose ! La, la, ne pleurez pas comme cela, vous me fendez le cœur. Écoutez, ma belle chérie, tout est pillé par ici. Il ne me reste rien, pas même un lit à vous offrir. Mais vous trouverez au château de la Rochette quelqu’un pour vous recevoir. Les maîtres y sont restés, et si nous mangeons du pain, c’est bien à eux que nous le devons. On leur a tant pris qu’on a eu honte de ne leur rien laisser du tout. Avec le peu qui leur reste, ils empêchent le pauvre monde de mourir de faim. Allez-y, ma mignonne ; en tous cas, on vous recevra avec les égards que vous méritez, et l’on vous donnera un bon conseil. Mais voilà la nuit bientôt, les journées sont si courtes ! et pas un homme dans le village pour vous y conduire ; quel malheur que mes vieilles jambes ne puissent plus me porter ! Seigneur mon Dieu ! faut-il avoir assez vécu pour voir toute cette pitié-là !

— Je n’ai pas peur, dit Mme Defert, indiquez-moi seulement le chemin.

— Allez jusqu’à l’autre bout du village, tournez à droite, à l’endroit où vous verrez de grandes caves creusées dans le tuf. Vous irez jusqu’à une allée de platanes, qui mène tout droit au château. C’est à une demi-lieue tout au plus.