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Page:Les Caquets de l'Accouchée.djvu/108

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brunette qui vend de l’encre nouvelle22 sur le pont : Hélas ! dit-elle, ma mie, c’est bien à nous à nous plaindre des destins si cruels, et à vivre à l’occasion ! La fortune nous a bien tourné le dos ; depuis que le roy est party, nous n’avons pas gaigné un teston en nostre boutique. Si ce n’estoit le petit trafic que nous faisons au logis, je ne sçay comment il nous seroit possible de vivre. Ce n’est pas faute de marchands, nostre boutique est tousjours assez garnie : vous y en trouverez tousjours trois ou quatre ; mais leur bourse est si sterile qu’il n’y a point moyen de tirer ny d’arracher une pistolle d’eux.

Sa sœur alloit advancer quelque propos ; mais sa mère, interrompant son discours, bien que d’un front ridé, dit ces paroles : Mes enfans, il faut prendre patience ; nous sommes en un temps miserable, où le vice a tellement pris pied dans la nature que la vertu s’en est bannie et exilée d’elle-mesme ; on ne parle que de coupeurs de bourses, que de Grisons23 et Rougets24 ; et mesme


22. Peut-être cette encre nouvelle est-elle celle de la Petite vertu. La maison Guyot, qui en fait le commerce, date en effet, à en croire son enseigne, de l’année 1609, époque assez rapprochée de celle-ci.

23. Il est parlé de tous ces voleurs, notamment des Grisons, dans le roman de Francion, liv. 2, histoire de Marsault, Paris, 1663, in-8, p. 74.

24. On les appeloit aussi Manteaux-Rouges, peut-être parcequ’étant des échappés des galères, ils avoient gardé