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■246 LA FEMME SANS NOM.

avilie , el tout cela sans compensation , sans espoir de retour : pour les uns, c’est la débauche en robe de soie , la paresse en chapeau de satin ; pour les autres , c’est la gourmandise qui sourit , l’ivrognerie qui marche ; pour tout le monde, ce n’est qu’un amas de vices qui battent sous des oripeaux , et auxquels on fait bien de jeter l’éternel anathème. Sans doute tout cela est vrai ; mais croit-on que cette lèpre de la débauche envahisse l’Ame tout ; coup et s’y maintienne sans espoir de guérison ? Une pareille pensée serait impie. Dieu, qui envoie aux femmes l’ignorance et la misère qui les perdent, leur garde aussi quelquefois A leur dernière heure le repentir, comme une comi)ensation céleste. Écoutez plutôt l’histoire de Mariette. Dans une petite ville de province vivait une veuve qui n’avait que sa fille pour soutien. Mariette était jeune et jolie ; son corps semblait être fait d’une goutte de lait , et ses yeux, des rayons d’une étoile. La mère de Mariette vint à mourir. La voilA donc seule au monde, sans parents, sans amis, sans soutiens. Quand elle eut versé bien des larmes sur le corps de sa mère, et tressé bien des couronnes pour orner la croix de bois de son tombeau, un voisin se présenta cJaez elle. Cet homme était riche ; il se dit l’ami de la famille, et offrit A Mariette de la prendre chez lui ; la jeune fille accepta avec reconnaissance. Le premier jour, l’ami de la famille pleura avec elle ; le second, il lui prit le menton ; le troisième, il essaya de l’embrasser. L’j voisin avait cinquante ans.

Mariette avait un cousin qu’elle croyait aiaier ; poussée au désespoir, elle voulut se tuer pour rejoindre sa mère. Le voisin parvint à la calmer ; il lui avoua son amour, et lui promit de l’épouser si elle voulait se rendre à ses vœux : Mariette, ignorant parfaitement ce que c’était que se rendre aux vœux .d’un homme, ne vit qu’une chose dans tout cela, son mariage prochain. On lui avait dit dans maintes chansons que les jeunes gens étaient des trompeurs ; le voisin était marguillier de sa paroisse, et de magnifiques cheveux blancs ornaient son front. Mariette se rassura donc, et ne songea plus à aller rejoindre sa mère. A force d’être rassurée, elle devint enceinte : au bout de neuf mois , elle mit au monde une fille. Le voisin en cheveux blancs , l’ami de la famille, le marguillier vertueux, envoya l’enfant A l’hôpital ; el quand la mère fut rétablie, il lui mit un louis dans la main, la plaça dans la rotonde, et recommanda au conducteur de la faire conduire, à son arrivée à Paris , chez un de ses amis , qui était préparé à la recevoir. Comme Mariette pleurait beaucoup en quittant le voisin, tout le monde crut que c’était par reconnaissance. Le dimanche suivant, le curé cita au prône le vénérable marguillier, et quelques jours après ses concitoyens rélevèrent A la dignité de maire. C’était à l’écharpe municipale A couronner tant de vertus.

Voilà donc Mariette A Paris. Elle est triste, car elle songe A sa pauvre fille, qui est morte, A ce que lui a dit le voisin prudent. Deux jours se sont A peine écoulés depuis son arrivée, que l’ami du voisin, autre philanthrope en cheveux blancs, la presse déjA de cédera ses voeux. Avec celui-IA il n’est nullement question de mariage ; mais il promet A Mariette de lui faire un sort. Mariette, curieuse de savoir ce que c’est qu’un sort , cède aux vœux du philanthrope de Paris ; et elle s’aperçoit bientôt que ce (|ue les philanthropes appellent un sort consiste en une chambre A un troisième étage