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350 LE COMMIS-VOYAGEUR.

sourcil , plii’ méllioiliquenienl sa serviette, prend un cure-dent, se lève et va stimiilei’ la pratique endormie. .Son entrée dans une maison est digne, calme, et mesurée sur l’importance de ses relations avec elle. D’un coup d’oeil il a vu, il a calculé les besoins du commettant , et déj :" ! , avant que celui-ci ait eu le temps de récapituler ce (|ui lui manque, le voyageur patron a inscrit sur son carnet une kyrielle d’articles, en disant : « Il vous manque telle chose , vous vendez bien tel objet ; je vous enverrai celte pièce, nous y ajouterons cette autre.» Cela s’appelle une commission ; ]» patron, prise d’assaut, sans que le commettant, fasciné par le prestige, ait pu placer le mot refus Et puis, diable ! c’est le chef de la maison, il peut faire des avantages, des concessions, et l’on ne peut décemment pas le laisser passer f/f blanc, c’est-ù-dire sans commission. Le voyageur patron obtiendra une commission là où il n’y a rien A groltcr pour son i)auvre représeulant . Ouelque zèle, quelque amour-propre qu’y déploie celui-ci , l’autre l’emportera toujours sur lui ; effet de certaines petites influences auxquelles le commettant cède involontairement. — Le costume du voyageur patron n’est ni pincé, ni bouffant , ni voyant ; il est propre , luisant, bien brossé, et surtout bien étoffé.

Le voyjigeur patron n’a jamais qu’une main de gantée, un gant neuf et un gant troué. De nos jours, et surtout depuis la révolution de 1830, il risque le foulard, le foulard de soie, impression de Lyon , un véritable foulard. Quant au voyageur intéressé, il est d’un âge problématique ; il vogue le plus ordinairement entre trente-cinq et quarante ans, indubitablement orné d’un toupet Tiliicrge et d’une dentition Billard ; si , par aventure , il ne porte ni perruque ni fausses dents, il a le soin de se munir d’un pitit peigne de plomb A l’aide duquel , i)our parei’ aux dégradations du temps..., il ramène sur le devant les mèches isolées qui vont s’égarer sur l’occiput ; puis, il s’exprimera de manière à ne jamais ouvrir la bouche plus qu’il ne faut pour permettre i la langue d’exécuter son jeu. Le voyageur intéressé est un bipède intéressant , ordinairement petit , un peu boulot, un peu ventru, mais en résumé bon garçon. Il est coquet dans sa mise, sent l’eau de Cologne , quelquefois le patchouli , met une cravate blanche, un gilet blanc, un pantalon noir et un habit idem, - toute la rhétorique d’autrefois. A l’index de sa main droite, vous remarquerez une chevalière or massif ; à sa chemise , des boutons de nacre ou de dent d’hippopotame , et i"i son gousset une chaîne plate ; la Vaucanson. A table , il cause peu , mais bien et posément ; c’est-A-dire que ses paroles sont empreintes d’un certain Ion prétentieux et saupoudrées d’une légère couche de menl erie qu glisse, s’infiltre et prend racine sous un air de bonhomie et de véracité. Le voyageur intéressé ne fraye pas avec le menu fretin de la confrérie ; il prend sa demi-tasse à table d’hôte, se lève, va causer un instant avec le maître d’hùlel , appelle le garçon , afin que celui-ci donne un coup de brosse à ses bottes, et demande un gamin pour porter sa marmotte. Chez le commettant, il est, comme partout, poli , prévenant, obséquieux ; il embrasse le bambin morveux, caresse le chien caniche , dit une douceur A la demoiselle de comiitoir, et offre une prise de tabac au patron. Il s’informe de l’état des vignes, prédit le résultat de la saison , entreprend une dissertation agronomique sur le cours des blés, des avoines et des cantalous. demande des nouvelles de madame, et engage