Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/95

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I.I- : Il Al’ IN. 35

Ah ! nous louchons ici une lordo qui iIcMailit-soiincr, sans doule, el qui copoii- (l ;inl no ronil (|U(’ de sourds accords. L’amour, dans le sens uiyslcrieux cl plaloni(|ue du mot, esl loul ii l’ait cliaugcr a Thcodoie. Commciil l’araoui’ lui aurait-il cté révélé, en effet, à lui qui n’a Jamais entendu que des paroles amères ou ironi(|ucs, et qui n’a jamais pu encore déposer ses peines dans un cieuranii ? Parmi les fennnes, jeunes lilles ou jeunes nicres. (|u’il a vues déjà dans l’atelier de son maître, i)lus d’une, il est vrai, sans qu’il sût trop s’expliquer l’éni^inie, a fait battre violemment son cœur. Mais, comme ce n’est point le costume ( au contraire ) que l’on demande ;i un modèle, il est arrivé que Théodore s’est laissé prendre, en ces divei’sescirconslances, moins par l’élégance de la Inilelle, ou par la Kràce du langaiîc, que par des appâts plus positifs ; — nous voilà bien loin, comme je disais, du platonisme — pauvre Théodore ! timide comme il l’est, habitué aux humiliations de toute nature, maltraité souvent par les élèves devaut les objets mêmes qui l’enflamment, on se doule qu’il n’a guère le courage de confesser les sentiments (juil éprouve ; aussi supporte-t-il en silence cet autre tourment. Par moments, l’envie lui vient bieu de triompher de sa faiblesse, de ne plus cacher ce qui se passe dans son âme, dussent toutes les échelles et tous les pots à l’eau de l’atelier être mis en réquisition pour le punir de son insolence ! mais il est arrêté court, a peine a-t-il ouvert la bouche, par un ironique éclat de rire que lui jelte à la face l’objet de ses feux. Il se résigne alors tristement.

Il se résigne, car il sait que son supplice aura un terme. Et en effet, si cette vie dont je viens d’esquisser quelques détails, si cette vie, tourmentée sans compensations aucunes, devait durer toujours, autant vaudrait en liuir tout de suite par un bon suicide. (Juelle existence, celle du rapin ! N’avoir rien à soi, ne rien faire pour soi, n’être aimé de personne, pas même d’un chien, puisqu’il faudrait le nourrir, et que c’est tout au plus si le rapin a une pâture suffisante pour lui-même ; être esclave et n’avoir pas les privilèges d’un esclave, c’est-à-dire être sans salaire et sans droits ; vivre toujours seul, n’ayant même pas la permission de se parler à soimême, si quelqu’un est présent ; croupir dans une abrutissante ignorance de tout homme et de toute chose qui ne tiennent pas à l’art de la peinture : ne rien pouvoir, ne rien savoir, ne recevoir que des coups et n’ciitendic que des injures : trisic condition !


Mais ce qui console un peu le rapin, je le répète, c’est la certitude où il esl que tout cela aura un terme, quelque jour. Le rcile de rapin, dans un atelier, appartient toujours au dernier venu ; donc, le jour on un remplaçant lui arrivera, Théodore passera immédiatement au rang des élèves, et dès lors sou sort sera bieu différent. Lui qui, la veille, était ce que nous venons de le voir, un pauvre garçon hué et conspué par tout son entourage, il deviendra tout à coup, dans la hiérarchie artiste, quehpie chose d’assez important ; il aura a son tour un rapin à faire trotter par toutes les rues comme un groom d’Afrique ; il pourra engager des conversations avec les modèles qui viendront chez son maître ; la fumée du tabac ne lui fera plus mal au co-ur , il connaîtra les œuvres littéraires de nos plus grands écrivains, pour les leur entendre réciter à eux-mêmes avec complaisance. Bien plus...