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Page:Les Loisirs du chevalier d'Eon t1.djvu/26

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perdent jamais de vue leur vengeance.

Je connoissois ces vicissitudes spécialement attachées à la carrière pour laquelle je semblois destiné : aussi m’y fuis-je toujours préparé. Si la fortune m’a quelquefois caressé, j’ai songé à l’inconstance de ses faveurs ; & lorsqu’elle m’a rebuté, mon âme n’en a point été abattue. Quelqu’ait été son acharnement, j’ai taché de lever un front plus haut qu’elle ; & semblable au chameau qui traverse les déserts arides de l’Arabie, j’ai soutenu, sans succomber, la faim, la soif, la chaleur & le froid de la cour & des climats. Instruit que l’adversité exerce la patience & le courage, qu’elle seule peut faire paroître le héros qui y résiste rarement lui-même sans un secours divin, je l’ai vue sans effroi m’assaillir de toutes parts, j’y ai opposé la constance & ma fermeté m’a sauvé. Le travail, en éclairant mon esprit, a affermi mon cœur.

Les efforts qu’on a faits pour obscurcir la vérité que traçoit ma plume, semblent lui avoir donné un nouvel éclat, & sa voix, du sein même de l’oppression, ne s’est fait entendre que d’une façon plus victorieuse. C’est ainsi que l’homme apprend par les souffrances, à marcher seul, à se conduire lui-même & à gouverner les autres.