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CONTES ORIENTAUX

de ses menaces, j’étais insensible au péril où je me trouvais. Je regagnai lentement ma maison. Que cette nuit fut cruelle pour moi ! Une ardente fièvre, causée par l’agitation de mon amour, vint échauffer mon sang et me causa d’affreuses rêveries.

Cependant l’envie de revoir la dame et l’espérance d’en être regardé plus favorablement, quoique je n’eusse pas lieu de m’y attendre, calmèrent mes transports. Entraîné par ma folle passion, je courus encore le lendemain sur les bords du Nil, et me plaçai au même endroit que les jours précédents.

La jeune dame se montra dès qu’elle m’aperçut, mais elle avait l’air si fier que j’en fus effrayé : « Quoi, misérable, me dit-elle, après les menaces que je t’ai faites, tu peux revenir dans ces lieux ! fuis loin de ce palais. Je veux bien t’avertir encore par pitié que ta perte est certaine, si tu ne disparais en ce moment. Qui peut te retenir ? ajouta-t-elle un moment après, voyant que je ne m’en allais point. Tremble, jeune audacieux, la foudre est prête à tomber sur toi. »

À ce discours, qui sans doute aurait persuadé un homme moins épris que moi, au lieu de m’éloigner de la dame, je la regardai d’un air tendre, et lui répondis : « Belle dame, croyez-vous qu’un malheureux qui s’est laissé charmer et qui vous adore sans espérance, puisse craindre la mort ? Hélas ! j’aime mieux perdre la vie, que de ne pas vivre pour vous. — Eh bien, reprit-elle, puisque tu es si opiniâtre, vas passer le reste de la journée dans la ville, et reviens cette nuit sous mes fenêtres. » À ces mots elle disparut avec précipitation, et me laissa rempli d’étonnement, d’amour et de joie.

Si jusque-là j’avais été rebelle au commandement rigoureux que la dame me faisait de m’en aller, vous