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LES MILLE ET UN JOURS

devez bien penser que je m’y soumis alors fort volontiers ; la nouvelle circonstance qu’on y ajoutait en adoucissait la rigueur. Dans l’attente des plaisirs que je me promettais, j’oubliais mes malheurs. « Je ne dois plus, disais-je, me plaindre de la fortune ; elle me devient plus favorable qu’elle ne m’a été contraire. » Je me retirai chez moi, où je m’occupai à me parer et à me parfumer.

Quand la nuit fut venue, et que je jugeai qu’il était temps d’aller où mon amour m’appelait, je m’y rendis dans l’obscurité. Je trouvai à une fenêtre de l’appartement de la dame une corde suspendue. Je m’en servis pour y monter. Je traversai deux chambres pour en gagner une troisième qui était magnifiquement meublée, et au milieu de laquelle il y avait un trône d’argent.

Je fis peu d’attention aux meubles précieux et à toutes les choses rares qu’on y voyait. La dame seule attira mes regards. Ah ! seigneur, que d’attraits ! Soit que la nature l’eût formée pour montrer aux hommes qu’elle sait, quand il lui plaît, faire un ouvrage parfait, soit que, trop prévenue pour elle, mon imagination charmée dérobât ses défauts à mes yeux, je fus enchanté de sa beauté.

Elle me fit monter sur le trône, s’assit auprès de moi et me demanda qui j’étais. Je lui contai mon histoire avec beaucoup de sincérité. Je m’aperçus qu’elle l’écoutait fort attentivement. Elle me parut même touchée de la situation où la fortune m’avait réduit : et cette pitié qui marquait un cœur généreux, acheva de me rendre le plus amoureux de tous les hommes. « Madame, lui dis-je, quelque malheureux que je sois, je cesse d’être à plaindre, puisque vous êtes sensible à mes malheurs. »