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CONTES ORIENTAUX

vieille dame mulâtre qui l’en empêcha. « Qu’allez-vous faire, seigneur, lui dit-elle, ne frappez point ces misérables ; ne souillez pas votre main d’un sang si abject. Ils sont indignes même que la terre reçoive leurs cadavres, puisqu’ils ont eu l’insolence, l’un de vous manquer de respect, et l’autre de vous trahir. Ordonnez qu’on les jette tous deux dans le Nil, et qu’ils servent de pâture aux poissons. » Le sultan suivit ce conseil, et les eunuques nous précipitèrent dans le Nil par les fenêtres d’une tour, dont ce fleuve battait les murs.

Quoique étourdi de ma chute, comme je sais fort bien nager, je gagnai le rivage opposé au palais. Échappé d’un si grand péril, je me rappelai le souvenir de la jeune dame, que la peur de mourir m’avait fait oublier ; et l’amour à son tour triomphant de la crainte de la mort, je rentrai dans le Nil avec plus d’ardeur que je n’en étais sorti, j’en suivis le cours en nageant ; et autant que l’obscurité de la nuit me pouvait permettre de discerner les objets, je tâchai de découvrir sur l’eau le corps de la jeune infortunée dont je causais la perte ; mais je ne l’aperçus point, et sentant que mes forces commençaient à s’affaiblir, je fus obligé de regagner la terre pour conserver une vie que j’exposais inutilement. Je ne pouvais douter que la favorite n’eût perdu la sienne, et j’étais inconsolable d’avoir sa mort à me reprocher. Je pleurais amèrement. « Hélas ! disais-je, sans moi, sans mon funeste amour, Dardané, la belle Dardané vivrait encore ! Eh ! pourquoi suis-je venu au Caire ? Pourquoi, n’ignorant pas que les malheurs sont contagieux, ai-je recherché la tendresse d’une si charmante personne ? » Pénétré de douleur de me voir la cause de son infortune, et le séjour du Caire me devenant