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LES MILLE ET UN JOURS

voyais bien qu’elle avait quelque dessein ; mais j’étais bien éloigné de le pénétrer. Je me rendis donc le lendemain chez le marchand, qui me reçut et me traita parfaitement bien. Avant que de nous séparer, je lui appris ma demeure, et lui dis que le jour suivant je voulais aussi lui donner à dîner.

Il ne manqua pas de me venir trouver. Nous nous mîmes tous deux à table, et nous passâmes toute la journée à boire des meilleurs vins. La dame ne voulut point être de la partie ; elle eut même grand soin de se tenir cachée pendant le repas. Comme elle m’avait fort recommandé d’amuser le marchand et de ne pas souffrir qu’il s’en retournât chez lui cette nuit, je l’arrêtai le soir, malgré toutes les instances qu’il me put faire pour que je lui permisse de s’en aller. Nous continuâmes de boire, et nous fîmes la débauche jusqu’à minuit. Alors, je le menai dans une chambre où il y avait un lit préparé pour lui. Je l’y laissai et me retirai dans la mienne. Je me couchai et m’endormis ; mais je ne goûtai pas longtemps la douceur du sommeil. La dame vint bientôt me réveiller. Elle tenait un flambeau d’une main et de l’autre un poignard. « Jeune homme, me dit-elle, lève-toi ; viens voir ton convive baigné dans son perfide sang[1]. »

Je me levai plein d’horreur à ces paroles ; je m’habillai à la hâte. Je suivis la dame dans la chambre du marchand, et voyant le misérable étendu sans vie sur son lit : « Ah ! cruelle, m’écriai-je, qu’avez-vous fait ? Avez vous pu commettre une action si noire ? Et pourquoi m’avez-vous fait servir d’instrument à votre

  1. On trouve une aventure qui ressemble beaucoup à celle-ci dans les Mille et une Nuits : Le Cordonnier et la fille du Roi.