Page:Les Partisans, numéro 2, 1900.djvu/11

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des êtres qui ont faim, accélèrent leur multiplication jusqu’à la progression géométrique. Cruel, mais ridicule miracle scientifique ! étonnante contre-partie du miséricordieux miracle de Jésus. Multiplication des affamés, revanche de la multiplication des pains…

Moi, tu sais, je m’imagine que chaque bouche nouvelle qui vient réclamer du pain est accompagnée de deux bras qui pourront semer et moissonner, et ce n’est pas Malthus qui m’empêcherait d’avoir une ou peut-être plusieurs familles de patriarche. Seulement, il y a l’Ogre, la Patrie : je refuse de lui offrir de la chair fraîche où battrait un peu de mon cœur.

Toi, comment ta logique à deux tranchants coupe-t-elle — oh ! mon Dieu, je veux bien faire rire les Abélards intellectuels que l’éducation moderne a faits de nos contemporains — comment ta logique tranche-t-elle ce nœud ?

Ω

12 Novembre 1900

d’Alpha

à Omega

Ton défi me va ; ta curiosité me pique et les raisons que tu me donnes sur la dépopulation me réjouissent : tu ne veux pas fournir de la chair fraîche à l’Ogre. Ceci serait vrai si c’était un raisonnement a-priorique. Malheureusement c’est un raisonnement a-postériorique et par surcroît, si je puis m’exprimer ainsi, une grosse erreur.

Dans l’œuvre de chair, il ne vient jamais à l’idée des amants de ne pas engendrer, parce qu’un jour la Patrie prendrait leur enfant ou le leur tuerait. Et si cela est — concession qui n’étaie pas ton système — cela est une exception rare. D’abord, on désire et l’on a un enfant pour des raisons d’un ordre sentimental et égoïste où la lune de miel pèse de toute son influence. On ne veut pas en avoir un second pour de multiples motifs dont le plus grave est d’ordre économique et le non moins important, parce que féminin, d’ordre esthétique.

Nos aïeules trouvaient que « les enfants ne procurent de plaisir que lorsqu’on les fait. » N’empêche qu’elles avaient sur les résultats de cet acte de la génération des pensées autrement plaisantes que nos volontaires brehaignes. Et je t’assure qu’elles ne souffraient pas moindrement que nos amoureuses fécondes quand la chair « où battait un peu de leur cœur », où vivait un peu de leur sang, était dévorée par la Patrie. Il faut chercher d’autres raisons que celles que tu me donnes et auxquelles tu as l’air de croire, mon cher Ωμέγα.

La femme ne veut plus d’enfants parce que, en outre de la perte du bien-être, elle est en proie à une suite de peurs : peur de souffrir,