Page:Les Soirées de Médan.djvu/129

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sée par derrière, gigotta et rua furieusement. Nous courions dans un tourbillon de poussière, aveuglés, ahuris, secoués, nous cramponnant à la barre du cacolet, fermant les yeux, riant et geignant. Nous arrivâmes à Châlons plus morts que vifs ; nous tombâmes comme un bétail harassé sur le sable, puis on nous empila dans des wagons et nous quittâmes la ville pour aller où ?… personne ne le savait.

Il faisait nuit ; nous volions sur les rails. Les malades étaient sortis des wagons et se promenaient sur les plates-formes. La machine siffle, ralentit son vol et s’arrête dans une gare, celle de Reims, je suppose, mais je ne pourrais l’affirmer. Nous mourions de faim, l’Intendance n’avait oublié qu’une chose : nous donner un pain pour la route. Je descends et j’aperçois un buffet ouvert. J’y cours, mais d’autres m’avaient devancé. On se battait alors que j’y arrivai. Les uns s’emparaient de bouteilles, les autres de viandes, ceux-ci de pain, ceux-là de cigares. Affolé, furieux, le restaurateur défendait sa boutique à coups de broc. Poussé par leurs camarades qui venaient en bande, le premier rang des mobiles se rue sur le comptoir qui s’abat, entraînant dans sa chute le patron du buffet et ses garçons. Ce fut alors un pillage réglé ; tout y passa, depuis les allumettes jusqu’aux cure-dents. Pendant ce temps une cloche sonne et le train part. Aucun de nous ne se dérange, et, tandis qu’assis sur la chaussée, j’explique au peintre que ses bronches travaillent, la contexture du sonnet, le train recule sur ses rails pour nous chercher.

Nous remontons dans nos compartiments, et nous passons la revue du butin conquis. À vrai dire, les mets étaient peu variés : de la charcuterie, et rien