Page:Les Soirées de Médan.djvu/130

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que de la charcuterie ! Nous avions six rouelles de cervelas à l’ail, une langue écarlate, deux saucissons, une superbe tranche de mortadelle, une tranche au liséré d’argent, aux chairs d’un rouge sombre marbrées de blanc, quatre litres de vin, une demi-bouteille de cognac et des bouts de bougie. Nous fichâmes les lumignons dans le col de nos gourdes qui se balancèrent, retenues aux parois du wagon par des ficelles. C’était, par instants, quand le train sautait sur les aiguilles des embranchements, une pluie de gouttes chaudes qui se figeaient presque aussitôt en de larges plaques, mais nos habits en avaient vu bien d’autres !

Nous commençâmes immédiatement le repas qu’interrompaient les allées et venues de ceux des mobiles qui, courant sur les marchepieds, tout le long du train, venaient frapper au carreau et nous demandaient à boire. Nous chantions à tue-tête, nous buvions, nous trinquions ; jamais malades ne firent autant de bruit et ne gambadèrent ainsi sur un train en marche ! On eût dit d’une Cour des Miracles roulante ; les estropiés sautaient à pieds joints, ceux dont les intestins brûlaient les arrosaient de lampées de cognac, les borgnes ouvraient les yeux, les fiévreux cabriolaient, les gorges malades beuglaient et pintaient, c’était inouï !

Cette turbulence finit cependant par se calmer. Je profite de cet apaisement pour passer le nez à la fenêtre. Il n’y avait pas une étoile, pas même un bout de lune, le ciel et la terre ne semblaient faire qu’un, et dans cette intensité d’un noir d’encre clignotaient comme des yeux de couleurs différentes des lanternes attachées à la tôle des disques. Le mécanicien jetait