Page:Les Soirées de Médan.djvu/135

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je saute sur le parquet, je pare le coup de poing qu’il m’envoie, et lui assène en riposte, sur l’œil gauche, un coup de serviette à toute volée. Il en voit trente-six chandelles, se rue sur moi ; je me recule et lui décoche un vigoureux coup de pied dans l’estomac. Il culbute, entraîne dans sa chute une chaise qui rebondit ; le dortoir est réveillé ; Francis accourt en chemise pour me prêter mainforte, la sœur arrive, les infirmiers s’élancent sur le fou qu’ils fessent et parviennent à grand’peine à recoucher.

L’aspect du dortoir était éminemment cocasse. Aux lueurs d’un rose vague qu’épandaient autour d’elles les veilleuses mourantes, avait succédé le flamboiement de trois lanternes. Le plafond noir avec ses ronds de lumière qui dansaient au-dessus des mèches en combustion éclatait maintenant avec ses teintes de plâtre fraîchement crépi. Les malades, une réunion de Guignols hors d’âge, avaient empoigné le morceau de bois qui pendait au bout d’une ficelle au dessus de leurs lits, s’y cramponnaient d’une main, et faisaient de l’autre des gestes terrifiés. À cette vue, ma colère tombe, je me tords de rire, le peintre suffoque, il n’y a que la sœur qui garde son sérieux et arrive, à force de menaces et de prières, à rétablir l’ordre dans la chambrée.

La nuit s’achève tant bien que mal ; le matin, à six heures, un roulement de tambour nous réunit, le directeur fait l’appel des hommes. Nous partons pour Rouen.

Arrivés dans cette ville, un officier dit au malheureux qui nous conduisait que l’hospice était plein et ne pouvait nous loger. En attendant, nous avons une heure d’arrêt. Je jette mon sac dans un coin