lèvres, je soutiens sa taille qui ploie et je la berce. Paris n’est pas loin, nous passons devant les docks à marchandises, devant les rotondes où grondent, dans une vapeur rouge, les machines en chauffe ; le train s’arrête, on prend les billets. Tout bien réfléchi, je conduirai d’abord Reine dans mon logement de garçon. Pourvu que son frère ne l’attende pas à l’arrivée ! Nous descendons des voitures, son frère est là. Dans cinq jours, me dit-elle, dans un baiser, et le bel oiseau s’envole ! Cinq jours après j’étais dans mon lit atrocement malade, et les Prussiens occupaient Sèvres. Jamais plus depuis je ne l’ai revue.
J’ai le cœur serré, je pousse un gros soupir ; ce n’est pourtant pas le moment d’être triste ! Je cahote maintenant dans un fiacre, je reconnais mon quartier, j’arrive devant la maison de ma mère, je grimpe les escaliers, quatre à quatre, je sonne précipitamment, la bonne ouvre. C’est monsieur ! et elle court prévenir ma mère qui s’élance à ma rencontre, devient pâle, m’embrasse, me regarde des pieds à la tête, s’éloigne un peu, me regarde encore et m’embrasse de nouveau. Pendant ce temps, la bonne a dévalisé le buffet. Vous devez avoir faim, monsieur Eugène ? — Je crois bien que j’ai faim ! je dévore tout ce qu’on me donne, j’avale de grands verres de vin ; à vrai dire, je ne sais ce que je mange et ce que je bois !
Je retourne enfin chez moi pour me coucher ! — Je retrouve mon logement tel que je l’ai laissé. Je le parcours, radieux, puis je m’assieds sur le divan et je reste là, extasié, béat, m’emplissant les yeux de la vue de mes bibelots et de mes livres. Je me déshabille pourtant, je me nettoie à grande eau, songeant que pour la première fois depuis des mois, je vais entrer