Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Seul je pense tout seul, en larmes & souspirs
Envoyer mes ennuits avecques les Zephirs.
Mais je me trompe helas ! car jamais ma maistresse
Grave dans mon cœur une heure ne me laisse,
Elle se tient pres moy, & par ses doux discours
Elle r'alume au vif l'ardeur de ses amours.
Plus je pnese fuir, plus je veux solitaire,
Meslongner pour me plaindre en ma peine ordinaire :
Plus je suis assailly, & tant plus dessus moy
Se redouble l'aigreur de mon facheux esmoy,
Les ombreuses forests, & les desertes plaines,
Au lieu de m'alleger multiplient mes peines,
Et lors que dans la mer se trempe le Soleil
La nuict qui doit cacher tout dessous le sommeil,
Me presse davantage, & assemble la flame
Des tisons eternels qui eschauffent mon ame,
Par son contraite effait, car son obscurité
Fait retirer en moy la plus vive clarté,
Qui se paist de mon sang, ainsi sous le silence
Je sens plus dans mon cœur de mon feu la puissance,
Que lors que le Soleil en reparant les cieux
Nous rend ce qui la nuict desroboit à nos yeux.
Mais encore ce pendant que dessus nostre sphaire,
En conduisant le jour son flambeau nous esclaire,
Je sens dedans mon sang en mes flames recuit
Les tourmens ennuyeux des peines de la nuict.
Ainsi serf des beaux yeux qui en mon ame luisent,
Tout m'est cause d'ennuy, toutes choses me nuisent,
Donc logeant bien souvent justement despité
Le murmure en la bouche, au cœur l'impiété,
Je double mon martyre, & d'une main bourrelle
Je veux oster la vie à mon ame immortelle :
Et n'estoit que je crains de blesser la beauté