Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/57

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Si tost que sa beauté eut mon cœur enflammé,
Que ne m'as-tu perdu pour finir l'avanture
Du malheur eternel, que sans cause j'endure ?
Que ne m'as-tu permis, en voyant son bel œil
De mourir par les feux de si heureux soleil ?
Car aise maintenant onmbre legere & belle,
Sans peine & sans soucy, en la paix eternelle
J'errerois, ou tousjours les esprits amoureux,
Vivans contans d'amour reposent bien heureux.
Mais en quel vain desir suis je entré, ma Deesse,
Non, non je ne croy pas qu'en l'infernale presse
Des esprits de la bas, on resente l'amour
Si long temps on ne l'a practiqué en ce jour,
Et si d'un beau soucy pour les yeux de sa dame
En mille heureuses parts ou a parti son ame,
Car apres un long temps si on a bien aymé,
On est de mesme feu hors du monde allumé :
Fuye donque de moy tout enny, toute crainte,
Car tant que d'un beau soin j'auray mon ame atteinte,
J'adoreray cest œil, qui me fait vivre icy,
Je beniray l'objet cause de mon soucy,
Et tant qu'en mes poumons je rentiendray ma vie,
J'adoreray les yeux de ma chere ennemie.
Soit que d'un long travail sans oser esperer
Il me faille en tourment ma misere tirer,
Ou que sans esperer faveur de ma maistresse
Je porte incessamment dans mon cœur ma tristesse,
Je l'aymeray vivant, en l'aimant je vivray,
Je l'aymeray mourant, en l'aimant je mourray.
Voila, mon cher soucy, ce que je vous puis dire :
Et ce que veut amour que pres vous je souspire,
Mais lisez en mon cœur, vous verrez encor mieux,