Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/73

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D'un œil tant adoucy que je suis tout confus
Lors que j'y pense encor, m'encourageant moy mesme
J'ai bravement forcé, du sort la force extreme,
Allegeant mon ennuy heureux toutes les fois
Que sous un tendre accent avec vous je parlois.
Helas, ce n'est pas tout, n'ayant pour tesmoignage
Que vous continuez de semblable courage,
Suivy de mes malheurs, je n'ay peu estimer
Que pour mon amitié vous me deussiez aymer,
Car las ! je suis si peu, & si peu je merite
Que si par la pitié vostre cœur ne s'incite
Je me tien pour perdu, & je ne pense pas
Que quand vous aymeriez, vous aymassiez si bas,
Qui me fait desirer au sort qui se presente,
De finir sous l'horreur du mal qui me tourmente.
Je veux donc sans espoir perir en mon mal heur,
Je veux d'un coup mortel perçant mon triste cœur
Tomber ombre legere, & croistre miserable
Le nombre des esprits de la plaine effroyable,
Qui sans corps vains legers tousjours surpris de peur
Sont la bas vagabons tallonnez de l'horreur,
Afin qu'à tout le moins une esperance vaine,
Ne se loge dans moy passant de veine en veine,
Pour me tromper cruelle, & en mon sort malin
Me faire mille fois sentir ma triste fin,
Tandis que trop fidelle, helas ! en mon martire,
Dessous un trop bel œil langoureux je souspire,
Et que par mille pleurs je tasche d'adoucir
Le mal perpetuel ou je meurs sans mourir,
Ha ! que tarde ma main, que tarde ceste lame
De donner vistement liberté à mon ame,
Que tardent mes destins, puis qu'aussi bien le sort
Ne me presente rien que soin, que peur, que mort,