Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/78

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De ceux à qui la mort a fermé les paupieres
Errent tant que leurs corps soient mis dans le tombeau,
Recevez mes souspirs, & d'une longue aleine
Redoublez plusieurs fois la vois dont en ma peine
Je demande en vos creux un remede nouveau.

Car un injuste sort, me privant de ma vie,
M'absente des beaux yeux dont mon ame ravie,
Adorant les rayons fait vivotter mon cœur,
Et veut que sans espoir de revoir ma maistresse,
J'oublie de ce trait qui tant heureux me blesse,
Pour mourir en l'aimant, l'agreable douceur.

Mais quoy que contre moy la fiere destinee
Ait amené du Ciel l'influence ordonnee,
Au poinct determiné de ma calamité,
Si est-ce que tousjours en ma ferme pensee,
Sera heureusement d'une secrette Idee
Ciselé jusqu'au vif le trait de sa beauté.

Toutefois attendant que le Ciel en ordonne,
Que je puisse revoir ceste beauté qui donne
A mon douteux espoir, tant de contentement,
Je luy veux dire adieu, mais cest adieu entame
D'un mortel desplaisir & mon cœur & mon ame,
Tant le regret en cause en mes os de tourment.

Adieu ! Las je ne puis ! Hé je ne puis encore,
Adieu douce beauté qu'heureusement j'adore,
Ha ! je ne puis passer cest adieu sans perir,
Encores le faut-il & reprenant courage,
Feignant pour un moment le mal de son dommage,
Dire adieu à ceste heure, & puis tantost mourir.