Page:Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, 1933.djvu/155

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Tandis qu’à qui mieux mieux ils ronflaient sous la tente,
J’ai sur le camp muet jeté l’onguent fatal.
Cette forêt de poils, naguère frisottante,
N’offre plus qu’un amas de matière gluante
Qui dépasse en horreur les égouts d’hôpital.
Les premiers qui du mal ont senti l’influence
S’éveillent en frottant leurs yeux ensommeillés :
Sur leurs orbites creux leurs cils restent collés.
Chacun voudrait crier, mais un morne silence
Succède à quelques cris à peine articulés.
Quelques-uns cependant, veulent tenter la fuite :
L’un sur l’autre à l’envie la mort les précipite ;
Leur corps svelte et léger dans la glue reste ancré,
Comme un soulier de bal dans l’ordure empêtré.
Si l’Histoire mettait le nez dans ces abîmes,
Quel tissu glorieux d’épisodes sanglants,
Quels efforts de héros, et quels trépas sublimes
Elle raconterait aux fils de nos enfants !
L’un se précipitant dans les bras de sa mère
Reste collé sur elle, et ne peut s’en défaire ;
L’autre, qui ne fait pas les choses à demi,
Emporte, en la pressant, la main de son ami :
Mille seraient tombés s’ils eussent été mille !
Poussés par la terreur, tous ces vieux éclopés
Tombèrent sans gémir, l’un sur l’autre, à la file
Comme un chaînon lascif de jeunes enculés.
Cependant plus heureux que ses compagnons d’armes,
Tandis que l’onguent gris sabrait la légion,
Seul, entre deux longs poils, un jeune morpion,
Dormait, près de l’anus, d’un sommeil sans alarmes.
Il rêvait de joyeux banquets comme jadis ;
Ainsi l’on vit la Seine, autrefois, dans Paris,


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