Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/182

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bouche le nez pour ne pas sentir l’odeur infecte répandue par le corps du lépreux. Toutes les têtes, tant d’hommes que de femmes, sont également belles, et les costumes, les draperies sont traités avec autant d’art qu’il n’est pas étonnant, par suite du bruit qui s’en répandit dans la ville et au dehors, que le pape Benoît XI de Trévise ait envoyé en Toscane un de ses gentilhommes pour savoir quel homme était ce Giotto, et quelles étaient ses œuvres, ayant l’intention de faire faire quelques peintures dans la basilique de Saint-Pierre[1]. L’envoyé du pape s’étant mis en route, pour aller voir Giotto et apprendre quels autres maîtres il y avait à Florence excellant en peinture et en mosaïque, passa par Sienne, où il s’aboucha avec nombre de peintres qui lui remirent des dessins. Arrivé à Florence, il se rendit un matin dans l’atelier de Giotto qu’il trouva en train de travailler, et lui exposa quelles étaient les intentions du pape. Il finit par lui demander un dessin qu’il pût envoyer à Sa Sainteté. Giotto, qui était d’un caractère enjoué, prit une feuille de papier, appuya son coude sur sa hanche, pour former une espèce de compas, et traça, avec un pinceau teint en rouge, un cercle si égal de rayon et d’épaisseur que c’était une merveille à voir. Cela fait, il dit en souriant au gentilhomme : « — Voilà le dessin demandé. » Celui-ci, se voyant joué, s’écria : « — N’aurai-je point d’autre dessin que ce rond ? » « — Il est plus que suffisant, lui répondit Giotto, envoyez-le avec les autres, et vous verrez si on en reconnaîtra l’auteur. » L’envoyé du pape, voyant qu’il ne pouvait obtenir d’autre dessin, s’en alla fort mécontent, soupçonnant qu’il avait été bafoué. Néanmoins, il envoya ce dessin avec les autres au pape, et les noms de ceux qui les avaient faits et raconta comment Giotto avait tracé son cercle, sans remuer le bras et sans compas. D’où le pape et les courtisans qui s’y entendaient comprirent combien Giotto l’emportait sur tous les autres peintres de son époque. Cette chose s’étant divulguée, il en résulta le proverbe : Tu es plus rond que l’O de Giotto, — qu’on dit fréquemment aux hommes épais de corps et d’esprit. L’équivoque roule sur le mot rond [tondo], qui, en toscan, s’emploie pour signifier tantôt un cercle, tantôt un homme lourd et épais de cerveau.

Le pape fit donc venir Giotto à Rome, où il le reçut avec de grands honneurs. On lui donna à peindre dans la tribune de Saint-Pierre cinq sujets de la vie de Jésus-Christ, et, dans la sacristie, le tableau principal[2]. Toutes ces œuvres furent si bien exécutées que ses

  1. Giotto alla à Rome sous le pontificat de Boniface VIII.
  2. De toutes ces peintures, il ne reste que le tableau d’autel actuellement divisé en plusieurs morceaux et conservé dans la Stanza capitolare de la sacristie, à Saint-