Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/336

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avaient dépensé des sommes immenses pour faire élever des édifices mal dessinés, mal distribués, disgracieux, extravagants même et bizarrement décorés. Le ciel voulut alors, la terre étant restée si longtemps sans un homme d’un réel génie et d’une inspiration divine, que Filippo élevât la plus grande, la plus haute et la plus belle construction des temps modernes aussi bien que de l’antiquité, et montrât ainsi que la valeur des artistes toscans, bien qu’étant restée si longtemps cachée, n’était pas morte pour cela. Il était doué, d’ailleurs, des plus rares qualités ; en amitié, principalement, personne ne fut plus affable, ni plus bienveillant que lui. Son jugement était exempt de passion et quand il reconnaissait le mérite des autres, il laissait là son intérêt, ou celui de ses amis. Il connaisait sa valeur et ne ménagea pas à plusieurs autres l’aide de son talent, secourant de plus toujours son prochain dans la nécessité. Ennemi déclaré du vice, il recherchait les gens vertueux. Il ne dépensait pas son temps en vain, n’évitant aucune peine pour mener à bien ses travaux ou pour aider ceux qu’il savait dans le besoin et profitait de ses promenades pour visiter et secourir ses amis.

On dit qu’à Florence il y eut un homme d’une excellente réputation et de mœurs irréprochables, actif dans ses affaires, qui s’appelait Ser Brunellesco di Lippo Lapi[1]. Son aïeul, appelé Cambio, avait cultivé les lettres et était fils d’un médecin fameux dans le temps, du nom de Maestro Ventura Bacherini. Ser Brunellesco, ayant épousé une jeune fille remarquablement bien élevée, de la noble famille degli Spini[2], reçut, entre autres choses de la dot, une maison qu’il habita, avec sa famille, jusqu’à sa mort et qui était située vis-à-vis de San Michele Berteldi[3]. Il y vivait agréablement, quand lui naquit, l’an 1377, un fils auquel il donna le nom de son père Filippo, mort auparavant ; cette naissance fut accueillie avec une joie extrême par les parents. Dès son enfance, on lui enseigna, avec beaucoup de soin, les premiers principes des lettres ; il y montrait tant d’imagination et un esprit si élevé, que souvent il restait le cerveau en suspens, comme s’il ne se souciait pas d’y faire de grands progrès ; au contraire, il paraissait penser à des choses qui lui semblaient devoir être d’une plus grande utilité. Aussi Ser Brunellesco, qui désirait le voir continuer, un jour, sa profession de notaire ou celle de son aïeul le

  1. Mentionné en 1351, aux livres du Proconsul : Brunellescus filius olim Lippi Turae de Florentia. Il était notaire.
  2. Giuliana di Giovanni Spini.
  3. Aujourd’hui San Gaetano.