Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pontife. Il évitait tout ce qui était du monde ; il vécut avec tant de pureté et de sainteté, il fut avec tant de passion l’ami des pauvres, que selon moi son âme est maintenant au ciel. Il s’occupait continuellement de peinture, et ne voulut jamais représenter autre chose que des saints. Il aurait pu devenir riche, mais il ne s’en soucia pas, disant que la vraie richesse consiste uniquement à se contenter de peu. Il aurait pu commander à ses semblables, et ne le voulut pas, disant qu’il y avait moins de fatigue et de sujet d’erreur à obéir. Il dépendait de lui d’avoir des grades dans son ordre et en dehors du couvent, mais il les dédaigna, affirmant qu’il ne cherchait d’autre dignité que d’éviter l’Enfer et de gagner le Paradis. Il fut très humain et sobre, et, vivant dans la chasteté, il sut éviter les pièges du monde, répétant souvent que, pour pratiquer son art, il fallait le repos et une vie sans préoccupations ; que celui qui peint l’histoire du Christ devait toujours être avec le Christ. On ne le vit jamais en colère contre ses frères, ce qui est remarquable et me paraît incroyable, et il avait coutume d’exhorter ses amis à mieux, en souriant doucement. Avec une arriabilité surprenante, il répondait, à ceux qui lui demandaient de travailler pour eux, qu’il fallait d’abord avoir l’agrément du prieur, et qu’ensuite il n’y manquerait pas. En somme, ce bon Père, qui ne sera jamais assez célébré, fut toujours humble et modeste dans ses actions et ses propos ; les saints qu’il peignit ont plus l’air de saints que ceux de n’importe quel autre peintre. Il avait pour coutume de ne jamais retoucher ou repasser ses peintures ; il les laissait telles qu’elles venaient du premier coup, croyant, disait-il, que telle était la volonté de Dieu. On assure qu’il n’aurait jamais touché à ses pinceaux sans s’être mis auparavant en oraison. Il ne représenta jamais le Sauveur sur la Croix sans que ses joues fussent baignées de larmes ; aussi reconnaît-on dans les visages et les attitudes de ses personnages la sincérité de sa foi dans la religion chrétienne.

Il mourut en 1455, à l’âge de soixante-huit ans. Parmi ses élèves, Benozzo[1], Florentin, imita toujours sa manière. Il eut aussi pour élèves Gentile da Fabriano, et Domenico di Michelino[2]. Fra Giovanni fut enterré par ses frères à la Minerva de Rome, sous l’entrée latérale, près de la sacristie, dans un tombeau de marbre orné de son portrait[3]

  1. Gozzoli, dont on lira la Vie plus loin.
  2. Auteur du tableau représentant Dante, qui se trouve au Dôme de Florence, peint en 1466. Né en 1417, mort en 1491.
  3. Ce tombeau existe encore.