Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/412

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chose que barbouiller ses livres et ceux de ses camarades ; ce que voyant, le prieur[1] se résolut à lui donner toute facilité pour apprendre la peinture. À ce moment, au Carmine, la chapelle de Masaccio[2] venait d’être terminée ; comme elle était très belle, elle plaisait infiniment à Fra Filippo qui, chaque jour, s’y rendait pour se distraire, et, s’y exerçant avec plusieurs jeunes gens qui y dessinaient, il les surpassait de beaucoup en adresse et en savoir, de manière qu’il était admis qu’avec le temps il produirait quelque œuvre merveilleuse. À peu de temps de là, il peignit en camaïeu, dans le cloître et à côté de la Procession de Masaccio, un Pape confirmant la règle des Carmes[3]; il fit encore des peintures à fresques sur différentes parois, à l’intérieur de l’église[4], en particulier un saint Jean-Baptiste et quelques épisodes de sa vie, en sorte que, faisant chaque jour plus de progrès, il avait si bien pris la manière de Masaccio que l’on disait que l’esprit de celui-ci était entré dans le corps de Fra Filippo. Il fit, sur un pilastre de l’église, près de l’orgue, un saint Martial qui lui attira une grande renommée, car il pouvait aller de pair avec les œuvres de Masaccio ; aussi, s’entendant louer par tout le monde, Filippo quitta hardiment l’habit à l’âge de dix-sept ans[5].

Se trouvant après dans la Marche d’Ancone, un jour qu’il se promenait en barque avec quelques-uns de ses amis, sur la mer, ils furent tous pris par des corsaires mauresques qui couraient par ces parages et emmenés en Barbarie[6]. Là, on les mit à la chaîne et on les retint esclaves ; Filippo y resta dix-huit mois en endurant de grandes souffrances. Mais comme il avait les traits de son maître gravés dans l’esprit, il lui prit fantaisie, un jour, de les reproduire. Tirant donc du feu un charbon éteint, il le dessina en entier, avec ses vêtements mauresques, sur un mur blanc. Les autres esclaves rapportèrent le fait à leur maître, ce portrait paraissant miraculeux à tous, car ni le dessin ni la peinture n’étaient pratiqués dans ces régions ; et ce fait fut cause qu’on le délivra de la chaîne où il avait été retenu si longtemps. Filippo fit ensuite

  1. Fra Pietro da Prato.
  2. Masaccio ne la commença qu’en 1427 et mourut en 1428. Filippo est noté comme peintre dans les livres de dépense del Carmine en 1480 et 1481.
  3. Détruit en même temps que la Procession de Masaccio.
  4. Les peintures de Filippo au Carmine furent détruites soit par le temps, soit par l’incendie de 1771.
  5. En 1431. Ayant rempli différentes dignités ecclésiastiques, il fut nommé, après 1456, chapelain de Santa Margherita, à Prato.
  6. Toute cette histoire paraît être de la fantaisie, Filippo resta en Toscane de 1432 à 1439.