Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/453

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quel pape[1], qui, ayant fui à Venise, servit de cuisinier pendant longtemps aux moines de ce couvent : cette peinture renferme plusieurs portraits originaux et d’autres figures très belles. Peu de temps après, plusieurs portraits ayant été apportés par un ambassadeur au Grand Turc causèrent tant d’etonnement et d’admiration à cet empereur, que, bien que les peintures soient interdites par la loi musulmane, il les accepta volontiers, louant infiniment l’art et l’artiste et même demanda qu’on lui en envoyât l’auteur[2]. Le Sénat, considérant que Giovanni n’était pas en état de faire le voyage, à cause de son grand âge, outre qu’il ne voulait pas priver la ville d’un homme si illustre qui alors travaillait à la salle du Grand Conseil, résolut de faire partir Gentile[3], étant donné qu’il ên ferait autant. Gentile fut donc conduit en toute sécurité par les galères vénitiennes à Constantinople, où il fut présenté par le bailli de la Seigneurie à Mahomet, qui l’accueillit avec bonne grâce et beaucoup de caresses, à cause de la nouveauté de l’événement. Gentile lui présenta une délicate peinture qu’il admira extrêmement, ne pouvant croire qu’un homme eût le pouvoir quasi-divin d’imiter si vivement les choses de la nature. Il ne tarda pas à faire de cet empereur un portrait[4] que l’on regarda comme un miracle, et l’empereur, après avoir vu plusieurs procédés de l’art de la peinture, lui demanda s’il était capable de se peindre lui même. Gentile lui répondit affirmativement et, peu après, lui montra son portrait qui paraissait vivant, ce qui confirma de plus en plus Mahomet dans l’idée que Gentile tenait quelque chose de la divinité. Certes, il n’aurait jamais consenti à son départ, si, comme nous l’avons dit, la loi du Prophète n’eût interdit l’exercice de la peinture chez les Turcs. Soit donc par crainte de faire naître du mécontentement chez ses sujets, soit pour toute autre raison, Mahomet, ayant fait venir un jour Gentile, le fit d’abord remercier des services rendus, puis le loua merveilleusement comme étant un homme excellent et lui dit de demander la grâce qu’il voudrait et qui lui serait certainement accordée. Gentile en homme modeste et bien né, ne demanda autre chose qu’une lettre de recommandation auprès du sérénissime Sénat et de l’illustrissime Seigneurie de Venise, sa patrie, ce que Mahomet fit aussi chaudement qu’il pouvait ; il fut ensuite congédié avec de riches cadeaux et le titre de chevalier. Entre autres dons que l’empereur lui fit à son départ, il lui passa au cou une chaîne travaillée à la turque, du poids de deux cent

  1. Il s’agit peut-être d’Alexandre III.
  2. Le fait est mentionné dans les Chroniques vénitiennes, à la date de 1479.
  3. Qui était cependant l’aîné.
  4. Actuellement collection Layard, à Venise, signé et daté 1480.