Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/92

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croûte, occasionnée par le froid, le chaud ou la gelée, qui moisirait et tacherait tout le travail. C’est pourquoi il faut que le mur que l’on peint soit constamment humide ; les couleurs que l’on emploie doivent être de terre et non pas minérales ; le blanc est du travertin cuit. Il faut aussi une main adroite, résolue et prompte, mais avant tout un jugement ferme et absolu, parce que les couleurs, tandis que le mur est humide, se montrent sous un aspect qui est complètement différent une fois que le mur est sec. Aussi faut-il que le peintre, dans ce travail de la fresque, recoure plus à son jugement qu’au dessin, et il faut qu’il ait pour guide une pratique plus qu’extrême, car il est souverainement difficile d’amener un pareil travail à perfection. Quantité de nos artistes excellent dans les autres procédés de peinture, à savoir l’huile et la détrempe, qui ne réussissent pas dans la fresque. Ce mode est vraiment plus viril, plus sûr, plus résolu et plus durable que tous les autres. Une fois terminé, il acquiert, avec le temps, de la beauté et de l’unité, infiniment plus que tous les autres. Il se purifie à l’air, résiste à l’eau et à tout choc. Mais il faut avoir soin d’éviter les retouches avec des couleurs qui contiennent de la colle animale, du jaune d’œuf, des gommes adragantes ou autres, comme font beaucoup de peintres ; outre que le mur ne peut pas en montrer la transparence, les couleurs sur lesquelles on a posé de ces retouches se ternissent et deviennent rapidement noires. Aussi, que ceux qui veulent peindre sur un mur travaillent hardiment à fresque et ne retouchent pas à sec. C’est un procédé méprisable et qui donne une moindre durée aux peintures, comme on l’a déjà dit autre part.


Chapitre VI. — De la peinture à détrempe, ou à l’œuf, sur panneau et sur toile ; comment on peut s’en servir sur un mur sec.


Avant Cimabué, et depuis cette époque, on a toujours vu des œuvres peintes par les Grecs, à détrempe sur des panneaux et quelquefois sur mur. Ces vieux maîtres avaient l’habitude, quand ils voulaient plâtrer leurs panneaux, de peur qu’ils ne s’ouvrissent dans leurs joints, de les recouvrir tout d’abord d’une toile de lin fixée avec de la colle animale, puis de plâtrer cette toile pour peindre dessus ; ils délayaient les couleurs destinées à ce travail avec du jaune d’œuf, ou de la détrempe dont voici la composition : ils prenaient un œuf, ils le battaient et ils y broyaient un rameau tendre de figuier, de manière que le suc de cette plante se mêlât à l’œuf et donnât la détrempe des couleurs avec lesquelles ils exécutaient leurs œuvres. Pour peindre ces