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et ayant été très aimé de lui, il s’attira le surnom de de’ Franci. Il était meilleur dessinateur que son maître et maniait le burin avec une facilité et une grâce remarquables, faisant, comme c’était alors l’usage, des ceintures et d’autres objets niellés très beaux, car il était vraiment excellent dans ce métier. Poussé par le désir si naturel de courir le monde et de connaître les méthodes des autres artistes, il prit congé de Francia, et se rendit à Venise, où il fut très bien accueilli par les artistes de cette cité.

Sur ces entrefaites, quelques Flamands étant venus à Venise et ayant apporté des gravures sur bois et sur cuivre d’Albert Durer, Marc Antonio les vit exposées sur la place Saint-Marc. Stupéfait de la manière du travail et du mode de faire de Durer, il dépensa dans leur acquisition presque tout l’argent qu’il avait apporté de Bologne, et acheta, entre autre choses, la Passion du Christ, gravée sur bois en trente-six feuilles in-quarto et nouvellement publiée par Dürer, qui commençait par le Péché d’Adam et son Expulsion du Paradis, et se terminait par la Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres. Marc Antonio, considérant quel honneur et quelle fortune aurait pu acquérir celui qui se serait adonné à cet art en Italie, résolut de s’y appliquer de tous ses efforts. Il commença par contrefaire les gravures d’Albert Dürer qu’il avait achetées, en étudiant leurs tailles ; elles étaient en si grande vogue que chacun voulait en avoir. Il grava donc sur cuivre les trente-six feuilles de la Passion et de l’Histoire du Christ gravée sur bois, sans Oublier la marque de Durer qui était A D[1], et il réussit dans son imitation au point que ses estampes furent vendues et achetées pour être d’Albert Dürer, sans que de longtemps l’on s’aperçût de la contrefaçon. On en écrivit à Dürer, en Flandre, en lui envoyant un exemplaire des contrefaçons de Marc Antonio ; Dürer, furieux, partit de Flandre et vint à Venise, où il se plaignit à la Seigneurie ; mais il obtint seulement qu’à l’avenir Marc Antonio ne se servirait plus de son nom, ni de sa marque dans ses œuvres[2].

Marc Antonio alla ensuite à Rome et se consacra tout entier au dessin, et Albert Dürer, de retour en Flandre, y trouva un rival qui avait déjà produit plusieurs gravures d’une finesse extrême, c’est Lucas de Hollande[3], qui, bien que moins bon dessinateur que Dürer, ne

  1. Inexact. Son chiffre était
  2. Cette histoire paraît inventée. Dürer n’alla qu’une seule fois à Venise, en 1506.
  3. Appelé généralement Lucas de Leyde, 1494-1533. On connaît de lui cent soixante-quatorze estampes.