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le rendit maître d’un revenu de plus de mille ducats. Jules se construisit à Mantoue, vis-à-vis San Barnaba, une maison[1] qu’il orna d’une façade originale, toute en stucs colorés. L’intérieur fut entièrement peint ou garni de stucs semblables, et fut rempli d’antiques rapportés de Rome ou donnés par le duc en échange d’autres. Le nombre des dessins qu’il fit pour Mantoue et ses environs est vraiment incroyable ; car, comme nous l’avons déjà dit, on ne pouvait, surtout dans la ville, élever de palais ou d’autres édifices considérables que d’après ses dessins. Il rebâtit, sur ses anciens murs, l’église de San Benedetto, voisine du Pô, et dépendant du riche couvent des moines noirs ; il fit, pour le duc de Ferrare, plusieurs cartons[2] destinés à des tapisseries tissées d’or et de soie, qu’il fit exécuter par deux Flamands, Maestro Niccolo et Giovanbatista Rosso. Ces cartons ont été gravés par Giovanbatista de Mantoue, ainsi que plusieurs autres compositions de Jules. Parmi les morceaux rares que renfermait sa maison, se trouvait un portrait d’Albert Dürer[3], peint à la gouache et à l’aquarelle, sur une toile fine de Reims, par Dürer lui-même, qui l’avait envoyé en présent à Raphaël, comme nous l’avons dit dans la vie de ce dernier. Dürer n’avait pas employé de céruse, réservant le blanc de la toile, à l’aide des fils de laquelle, — fils qui étaient extrêmement fins, — il avait représenté les poils de la barbe avec tant de finesse que c’est chose impossible à exprimer, voire à imaginer, et qu’on pouvait les voir par transparence à la lumière.

Lorsque le duc Frédéric mourut[4], Jules ressentit une telle douleur de la perte de ce prince qui l’avait tant aimé, qu’il aurait quitté la ville, si le cardinal de Gonzague, frère du duc, à qui le gouvernement avait été confié pendant la minorité de ses neveux, ne l’eût retenu dans ce pays, où d’ailleurs il avait femme, enfant, maison, domaines et tout ce que comporte la vie d’un gentilhomme aisé. D’un autre côté, le cardinal était bien aise de conserver un artiste dont les conseils lui étaient nécessaires pour reconstruire presque entièrement la cathédrale de la ville, travail que Jules poussa fort avant, dans un beau style[5].

Peu de temps après, les intendants de la construction de San Petronio, à Bologne, voulant commencer la façade de leur église, décidèrent Jules

  1. En 1544 ; cette maison existe encore, mais elle a été transformée au commencement de ce siècle.
  2. Actuellement au Louvre.
  3. Ce portrait est perdu.
  4. Le 28 juin 1540.
  5. En 1544.