Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/354

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à son beau coloris, et comme il méritait d’être regardé comme le plus grand imitateur de la nature, dans les œuvres de couleurs, il aurait encore ajouté au dessin sublime de l’Urbinate et de Buonarroto.

Étant allé ensuite à Vicence, il peignit à fresque le Jugement de Salomon[1], sous la petite galerie où s’administre publiquement la justice. De retour à Venise, il décora la façade des Grimani, puis il se rendit à Padoue, et laissa à Sant’Antonio quelques fresques tirées de l’histoire du Saint[2] ; dans l’église de Santo Spirito, il fit un petit tableau à l’huile que bien des personnes ont attribué à Giorgione, et qui représente saint Marc assis et environné de Saints dont les têtes sont autant de portraits d’après nature[3]. Par suite de la mort de Gian Bellino, une fresque était restée inachevée[4] dans la salle du Grand Conseil, qui représente Frédéric Barberousse agenouillé devant la porte de saint Marc, et faisant amende honorable au pape Alexandre III, qui lui met le pied sur la gorge ; Titien fut chargé d’achever cette composition. Il y opéra de nombreux changements et y introduisit les portraits de plusieurs de ses amis et de divers personnages. Le Sénat le récompensa en lui donnant, au Fondaco de’ Tedeschi, l’office della Senseria[5], dont le revenu annuel est de 300 écus. La seigneurie confère ordinairement cet office au peintre le plus éminent de la ville, en lui imposant l’obligation de faire, à chaque élection, le portrait du nouveau doge, moyennant huit écus seulement, payés par ce doge ; le portrait est ensuite exposé dans une salle publique du palais de Saint-Marc.

L’an 1514, Alphonse, duc de Ferrare, voulut que Gian Bellino travaillât à décorer un cabinet, où le Dosso, peintre ferrarais, avait déjà peint l’histoire d’Enée, celle de Mars et Vénus, et un Vulcain accompagné de deux forgerons. Gian Bellino représenta, sur une autre paroi, des bacchantes, des musiciens, des satyres, des hommes et des femmes ivres, autour d’une cuve de vin vermeil, près de laquelle on voit Silène entièrement nu, monté sur son âne et environné d’une troupe de gens qui ont les mains pleines de fruits et de raisins. Sur la cuve, Gian Bellino écrivit ces mots : Ioannes Bellinus Venetus, p. 1514. Cet

  1. Détruit quand on reconstruisit le palais ; sur les dessins de Palladio.
  2. Elles sont dans la Scuola di Sant’Antonio.
  3. Actuellement dans la sacristie de Santa Maria delia Salute.
  4. Cette fresque, laissée inachevée par suite de la mort de Giorgione, fut détruite par l’incendie de 1577.
  5. Titien le demanda le 31 mai 1513, et il y remplaça Giovanni Bellini, le 6 décembre 1516.