Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/355

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ouvrage[1] est un des meilleurs qu’il ait jamais produits, bien que l’on puisse reprocher aux draperies cette raideur qui appartient à la manière allemande : mais ce n’est pas étonnant, car il imita un tableau d’Albert Durer[2], que l’on avait rapporté à Venise et placé dans l’église San Bartolommeo, tableau remarquable et plein de belles figures peintes à l’huile. La vieillesse ayant forcé Gian Bellino à laisser cette œuvre inachevée, Titien fut appelé à la terminer, comme étant le meilleur peintre de son temps. Stimulé parle désir de se faire connaître, il peignit avec beaucoup d’application deux panneaux qui manquaient dans ce cabinet[3]. Sur le premier, on voit un fleuve de vin vermeil, entouré de chanteurs, de musiciens et de musiciennes à moitié ivres, à côté desquels dort une femme nue, si belle qu’on la croirait vivante : ce panneau est signé de son nom. Sur l’autre, qui est contigu au premier, et vis-à-vis de la porte d’entrée, il peignit une foule de petits amours et d’enfants très beaux, dans diverses attitudes. L’un d’eux urine dans un fleuve et se reflète dans l’eau, tandis que les autres sont autour d’un piédestal, en forme d’autel, sur lequel s’élève la statue de Vénus, dont la main droite tient une coquille marine ; près de Vénus, on voit la Grâce et la Beauté qui sont terminées avec un soin incroyable. Titien représenta pareillement, sur la porte d’une armoire, un Christ à mi-corps, d’une étonnante perfection, auquel un Pharisien montre la monnaie de César[4]. Les meilleurs de nos artistes affirment que ce Christ et les peintures du cabinet sont les meilleures œuvres que Titien ait jamais produites et, en vérité, elles sont uniques. Aussi mérita-t-il d’être apprécié et libéralement récompensé par le duc de Ferrare, qu’il peignit parfaitement, le bras appuyé sur une grande pièce d’artillerie. On lui doit aussi le portrait de la signora Laura, que le duc épousa plus tard ; c’est une œuvre étonnante[5]. À cette époque, il se lia d’amitié avec le divin Ariosto, qui le célébra dans ces vers de l' Orlando furioso :

E Tizan che onori,
Non meu Cador, che quei Venezia e Urbino

De retour à Venise, il peignit à l’huile et sur toile, pour le beau-père de Giovanni da Castel Bolognese, un berger nu et une paysanne

  1. Qui est dans la collection du baron Vincenzo Camuccini.
  2. C’est le Couronne nent de la Vierge, actuellement à Prague, signé : Albertus Dürer Germanus MDVI
  3. Ces deux bacchanales sont au Musée de Madrid.
  4. Actuellement au Musée de Dresde.
  5. Actuellement au Musée du Louvre.