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construction de Santo Spirito, lui avait fait faire des dessins pour trois grands tableaux à l’huile, destinés à orner le plafond de cette église ; mais Vasari étant parti, les trois tableaux furent alloués à Titien, qui représenta, avec une rare perfection de raccourcis, le Sacrifice d’Abraham, David tranchant la tête de Goliath et Gain tuant son frère Abel[1]. À la même époque, il fit son propre portrait, afin de laisser un souvenir à ses enfants[2].

L’an 1546, il fut appelé à Rome par le cardinal Farnèse, et il y rencontra Vasari, qui, de retour de Naples, travaillait à la salle de la Chancellerie pour le dit cardinal. Sur la recommandation de ce seigneur, Vasari lui tint fidèle compagnie et le mena voir toutes les curiosités de la ville. Après que Titien se fût reposé quelques jours, on lui donna un appartement au Belvédère, afin qu’il se remît à faire de nouveau le portrait en pied du pape Paul et ceux du cardinal Farnèse et du duc Octave[3]. Il les exécuta parfaitement, à la grande satisfaction de ces seigneurs qui lui conseillèrent de peindre un Ecce Homo, à mi-corps[4] pour l’offrir au pape. Mais, soit que ce tableau ait eu à souffrir du voisinage des productions de Michel-Ange et de Raphaël, soit pour toute autre raison, toujours est-il qu’il ne parut pas aux artistes, malgré ses qualités, avoir le degré d’excellence qu’ont beaucoup de ses autres œuvres et particulièrement ses portraits. Un jour Michel-Ange et Vasari étant allés voir Titien au Belvédère, virent dans son atelier un tableau auquel il travaillait et qui représentait une Danaé nue, recevant sur elle la pluie d’or[5] ; ils lui en firent de grands compliments, comme cela se pratique toujours en présence de l’artiste. Lorsqu’ils eurent pris congé de Titien, Michel-Ange vanta son coloris et sa manière, mais dit a que c’était grand dommage qu’à Venise on ne s’attachât pas dès le principe à bien dessiner et à mieux étudier ; si cet homme, ajouta-t-il, était aidé par l’art et par le dessin comme il a été favorisé de la nature, particulièrement dans la reproduction du vivant, on ne saurait faire plus ni mieux, car il a un bel esprit et une manière vive et brillante ». Pendant son séjour à Rome, Titien fut comblé de présents par les seigneurs que nous avons nommés plus haut ; il obtint, entre autres choses, un bénéfice de bon revenu pour son fils Pomponio.

  1. Les trois actuellement dans la sacristie de Santa Maria della Salute.
  2. Aux Offices, peint vers 1542.
  3. Au Musée de Naples.
  4. Tableau perdu.
  5. Plusieurs exemplaires dans différents musées, Vienne, Madrid, Naples, Saint-Pétersbourg.