Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/364

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enchaîné sur le Caucase et déchiré par l’aigle de Jupiter ; Sisyphe aux Enfers portant un rocher et Titus dévoré par un vautour[1]. Toutes ces figures, à l’exception de Prométhée, furent livrées à Sa Majesté, ainsi qu’un Tantale grand comme nature, peint sur toile et à l’huile. Il fit encore un merveilleux tableau de Vénus et d’Adonis[2] ; la déesse s’est évanouie, et le jeune homme est sur le point de la quitter, entouré de ses chiens. Sur un tableau de même grandeur, il représenta Andromède liée au rocher, et Persée la délivrant de l’orque marine ; on ne saurait voir de peinture qui ait plus de charme. Il en est de même d’une Diane au bain, métamorphosant Actéon en cerf, et d’une Europe assise sur le taureau qui l’emporte à travers la mer[3]. Ces peintures sont auprès du roi catholique qui les estime beaucoup à cause de la vivacité de leur coloris. Il est vrai que, dans ces tableaux, Titien observa une méthode complètement différente de celle qu’il avait suivie dans sa jeunesse ; ses premières productions se distinguent par un fini incroyable, qui permet de les regarder de près comme de loin ; ses derniers ouvrages, au contraire, sont traités à grands coups de pinceau, de sorte que de près on ne voit rien, et que de loin ils paraissent parfaits. Beaucoup d’artistes, pour paraître habiles, ont voulu imiter cette méthode, mais ils n’ont produit que des peintures ridicules. Cela provient de ce qu’ils ont pensé que Titien procédait avec promptitude et sans rencontrer de difficultés ; ils se sont trompés car on reconnaît que Titien est revenu à maintes reprises sur ses premières touches. Cette méthode est aussi judicieuse que surprenante, parce qu’elle donne aux peintures un cachet de vérité et de grand art, tout en cachant le travail.

Sur un tableau, haut de trois brasses et large de quatre, Titien a fait dernièrement un Christ enfant au sein de la Vierge et adoré par les Mages, avec un grand nombre de figures hautes d’une brasse[4] ; c’est une œuvre de beaucoup de charme, dont il fit une copie non moins belle qu’il donna au vieux cardinal de Ferrare[5]. Un autre tableau, où il représenta le Christ livré aux insultes des Juifs[6], fut placé à Milan, dans une chapelle de l’église de Santa Maria delle Grazie.

  1. Ces tableaux furent détruits dans l’incendie du palais du Pardo.
  2. À l’Escurial, terminé en 1554.
  3. De ces trois tableaux, seule la Diane existe encore. [Au Musée de Madrid]. 1561.
  4. Au Musée de Madrid.
  5. C’est peut-être le tableau de la Galerie Nationale, à Londres.
  6. Au Musée du Louvre, signé : TITIANUS F.