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Pour la reine du Portugal, il exécuta un magnifique Christ flagellé, un peu moins grand que nature. À Ancône, sur le maître-autel de San Domenico, il fit dans cette dernière manière pleine de taches dont nous venons de parler, un Christ en croix, aux pieds duquel se tiennent la Vierge, saint Jean et saint Dominique[1]. Dans l’église des Crucicchieri[2], à Venise, il peignit le tableau qui est au-dessus de l’autel de saint Laurent, et qui représente le supplice de ce saint ; le martyr, en raccourci, est couché à demi sur le gril posé sur un grand feu qu’attisent plusieurs bourreaux. Comme la scène se passe de nuit, deux valets portent des torches qui illuminent les endroits où n’arrive pas la réverbération du brasier ardent qui est sous le gril. Il y a, en outre, un rayon céleste qui perce les nuages, et, absorbant la lueur des torches et celle du brasier, éclaire le saint et les principaux acteurs ; outre ces trois éclairages distincts, dans le lointain, il y a des gens aux fenêtres d’un édifice, ayant près d’eux des lanternes et des flambeaux. Somme toute, ce tableau est entièrement peint avec art et jugement.

Dans l’église San Sébastiano, à l’autel de saint Nicolas, il y a, de la main de Titien, un petit tableau[3] que lui avait commandé l’avocat Niccolo Grasso, et qui contient un saint Nicolas assis sur un siège de pierre, et accompagné d’un ange tenant une mitre. Il fit ensuite, pour être envoyé au roi d’Espagne, une sainte Marie-Madeleine, à mi-corps[4], dont les épaules, le cou et la poitrine sont voilés par ses cheveux épars. Levant la tête, et les yeux fixés au ciel, elle montre, par leur rougeur et par ses larmes, la sincérité et la violence de ses remords. Cette figure, malgré son extrême beauté, loin d’exciter des idées lascives, inspire un profond sentiment de compassion à celui qui la regarde attentivement. Lorsque ce tableau fut achevé, il plut de telle sorte à Silvio, gentilhomme vénitien, qu’il en donna cent écus à Titien, qui fut donc obligé d’en foire un autre, non moins beau, pour l’envoyer au roi catholique. Parmi quantité de portraits que Titien fit pour ses amis et d’autres personnages de son temps nous citerons, pour être bref, celui de la signora Irène[5], belle jeune fille lettrée, musicienne et assez experte en dessin ; le cardinal Bembo,

  1. En place. Le tableau de la Flagellation est perdu.
  2. Église des Jésuites, tableau en place.
  3. En place, 1563.
  4. Au Musée de Naples, 1561, avec de nombreuses répétitions au palais Pitti et en Angleterre.
  5. Spilimbergo, dans le palais de cette famille, à Maniago.