Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Campo Rusolo, avec quatre cents ducats de plus. Il rendit les mêmes services aux procurateurs dans les constructions de la Pescaria et d’autres occasions diverses, maisons, boutiques et autres, en plus d’un endroit, en sorte que finalement la procuratie, voyant ses revenus augmentés de plus de deux mille ducats, pouvait à juste titre l’aimer et le voir de bon œil[1].

Ensuite, par l’ordre des procurateurs, il mit la main à l’admirable et riche construction de la Libreria, à côté du Palais Public. Les ordres de l’architecture dorique et corinthien, aussi bien que ceux des sculptures, des corniches, des colonnes, des chapiteaux et des demi-figures font de cette œuvre une merveille, sans qu’on ait regardé le moins du monde à la dépense. Ce bâtiment renferme des pavements extrêmement riches, des stucs, des peintures dans les salles, les escaliers publics, sans parler de l’entrée principale aussi commode que richement décorée, et qui témoigne par sa grandeur et sa majesté de quoi était capable le Sansovino.

Cette manière de faire fut cause que dans cette ville, où jusqu’alors on n’avait jamais pensé à autre chose qu’à faire les maisons et les palais dans un seul style, chacun suivant toujours les mêmes idées, avec les mêmes mesures et dans les errements anciens, sans jamais apporter de modifications, suivant le site où l’on se trouvait, ou selon le but que l’on voulait atteindre, fut cause, dis-je, que l’on commença à construire les édifices publics et privés sur de nouveaux dessins, avec un meilleur ordre, et selon la doctrine antique de Vitruve. D’après le dire des connaisseurs et de ceux qui ont vu différentes parties du monde, cette méthode est sans égale.

Il construisit ensuite le palais de Messer Giovanni Delfino[2], place sur le canal Grande, au delà du Rialto, et face à la Riva del Ferro ; il coûta trente mille ducats. Il construisit pareillement celui de Messer Lionardo Moro, à San Girolamo, qui est d’une grande valeur et assez semblable à une forteresse. On lui doit le palais de Messer Luigi de’ Garzoni, plus large de treize pas en tous sens que le Fondaco de’Tedeschi ; toutes les commodités y sont réunies, au point que l’eau court par tout le palais : orné de quatre figures très belles du Sansovino, il est à Ponte Casale in contado. Plus beau encore est le palais de Messer Giorgio Cornaro[3], sur le canal Grande, qui, sans aucun doute, sur-

  1. Il fut affranchi de la taxe militaire en même temps que Titien.
  2. Qui appartient actuellement aux comtes Manin ; il ne reste du Sansovino que la façade.
  3. Existe encore.