Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/399

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Il arriva que Piero Soderini ayant vu le David et le trouvant à son gré, dit pourtant à Michel-Ange, qui était en train de le retoucher en certains endroits, qu’il lui paraissait que le nez était trop gros. Michel-Ange, remarquant que le gonfalonier s’était placé sous le colosse, de manière qu’il n’avait pas la vue exacte, monta sur l’échafaudage pour le satisfaire, en tenant d’une main un ciseau ; de l’autre il ramassa un peu de la poussière de marbre qui était sur la plate-forme. Puis, faisant, semblant de retoucher le nez, mais sans l’entamer avec le ciseau, il laissa tomber la poussière peu à peu, et, baissant la tête vers le gonfalonier qui le regardait travailler, il lui dit : « Regardez-le maintenant. — Il me plaît davantage, lui répondit le gonfalonier, vous lui avez donné la vie. » Michel-Ange descendit de l’échafaudage, riant intérieurement et ayant pitié de ceux qui, pour faire les gens entendus, ne savent ce qu’ils disent. Quand la statue fut terminée et fixée, il la découvrit, et vraiment elle l’emporte sur toutes les statues modernes et antiques, soit grecques soit romaines. Ni le Marforio de Rome, ni le Tibre, ni le Nil qui sont au Belvédère, ni les colosses de Monte Cavallo ne peuvent l’égaler, comme proportions et comme beauté. Les contours des jambes sont admirables, la liaison et la sveltesse des flancs vraiment divines ; jamais on n’a vu un port si doux ni tant de grâce, et l’on ne saurait trop dire combien les pieds, les mains et la tête s’accordent ensemble, avec un art, une égalité et un dessin merveilleux. Certes, celui qui voit cette statue ne doit avoir souci de voir une autre œuvre de sculpture, qu’elle soit faite de notre temps ou qu’elle date d’autrefois, ni de n’importe quel artiste. Piero Soderini en donna quatre cents écus, et elle fut érigée l’an 1504[1]. Michel-Ange fit encore pour le gonfalonier un David de bronze[2], très beau, que celui-ci envoya en France. À cette époque, il ébaucha, sans les terminer, deux médaillons de marbre : l’un pour Taddeo Taddei, actuellement dans la maison de celui-ci, l’autre pour Bartolomeo Pitti[3]. Il ébaucha également une statue en marbre de saint Mathieu[4], dans l’Œuvre de Santa Maria del Fiore, qui, bien qu’ébauchée seulement, montre sa perfection et peut apprendre aux sculpteurs de quelle manière on tire les figures du marbre, sans qu’elles

  1. Découverte le 8 septembre 1504.
  2. Commandé par la Seigneurie le 12 août 1502; terminé en 1508 et envoyé au mois de décembre en France. On en a perdu la trace.
  3. L’un est à l’Académie des Beaux-Arts, à Londres ; l’autre, au Musée National de Florence.
  4. Par contrat du 24 avril 1503, Michel-Ange s’était obligé à faire les statues des douze Apôtres ; mais, dès 1505, il y renonçait. Le saint Mathieu est à l’Académie des Beaux-Arts.