Piero Soderini, gonfalonier, alloua à Michel-Ange, à cause du grand talent qu’il lui reconnut, une partie de cette salle à peindre, ce qui fut cause que Michel-Ange fit, en concurrence de Léonard, le carton destiné à l’autre paroi, et dans lequel il voulut représenter la guerre de Pise[1]. Pour l’exécuter, il obtint une salle dans l’hôpital des teinturiers, à Santo Onofrio, et y commença un carton de grandes dimensions, qu’il ne voulut montrer à personne, pendant qu’il y travaillait. Il le remplit de figures nues qui, pendant qu’elles se baignent dans l’Arno, à cause de la grande chaleur, entendent sonner l’alarme au camp qui est attaqué par les ennemis. Pendant que les soldats sortent de l’eau pour prendre leurs vêtements, on en voit s’armer en toute hâte pour porter secours à leurs compagnons, d’autres boucler leurs cuirasses et d’autres, étant montés à cheval, commencer le combat. Parmi d’autres figures, il y a un vieux soldat, la tête couverte de lierre pour avoir de l’ombre, qui s’est assis pour remettre ses chausses ; mais elles ne peuvent entrer parce qu’il a les jambes mouillées. Entendant le tumulte des soldats, les cris et le bruit des tambours, il veut se dépêcher et tire par force une des chausses ; outre le mouvement des muscles et des nerfs du visage, il contorsionne la bouche, montrant ainsi sa peine et qu’il se raidit jusqu’à la pointe des pieds. On y voit encore des tambours, des figures enveloppées, des hommes nus courant à la mêlée, d’autres dans des attitudes extraordinaires : debout, à genoux, couchés, noués ensemble, avec des raccourcis très difficiles. Il y avait encore des figures groupées et ébauchées de diverses manières, soit dessinées au charbon ou au trait, ou estompées, éclairées au blanc de céruse, et par là Michel-Ange voulait montrer tout ce qu’il savait dans cette partie de l’art. Aussi les artistes restèrent-ils stupéfaits devant l’excellence de l’art que Michel-Ange avait déployé dans ce dessin. En voyant de si divines figures, quelques-uns déclarèrent que ni de sa main, ni d’aucune autre, on n’avait encore vu d’œuvre qui pût aller aussi haut, et que cela n’arriverait jamais, ce qui est à croire, car, lorsque le carton fut terminé et eut été porté à la Salle du Pape, aux acclamations des gens de l’Art et pour la plus grande gloire de Michel-Ange, tous ceux qui l’étudièrent et qui dessinèrent d’après lui, tant étrangers que Florentins [comme cela arriva pendant de longues années à Florence], devinrent tous des artistes excellents, comme nous l’avons vu par Aristotile da San Gallo, son ami, Ridolfo Ghirlandajo, Raphaël Sanzio d’Urbin, Francesco Granacci, Baccio Bandinelli et Alonzo Berruguette, Espagnol. Il faut y
- ↑ Commencé en octobre 1504, terminé en août 1505.