Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/422

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à le faire revivre dans sa splendeur primitive. On y voit, outre ces statues, celles des deux capitaines, revêtus de leurs armures ; le duc Laurent, plongé dans ses réflexions, dans l’attitude d’un sage, a des jambes si bien faites que l’œil humain ne peut en voir de plus belles. L’autre est le duc Julien, plein de fierté dans le port de la tête et du cou ; l’enfoncement des yeux, le profil du nez, la fente de la bouche et les cheveux sont si divins, ainsi que les mains, les bras, les genoux et les pieds, en somme l’ensemble de ce que Michel-Ange exécuta est si beau que les yeux ne peuvent se fatiguer ni se rassasier de le regarder. Vraiment, qui verra la beauté des chaussures et de la cuirasse le prendra pour une créature céleste et non pas mortelle. Mais que dire de l’Aurore, représentée sous la figure d’une femme nue, capable de chasser la mélancolie de l’esprit, et de faire tomber le ciseau des mains du sculpteur. Dans son attitude, on reconnaît le désir qu’elle éprouve de se lever, encore tout accablée de sommeil, et il semble qu’en s’éveillant elle a trouvé fermés les yeux du grand duc. Aussi se tord-elle avec amertume, montrant sa grande douleur, dans son éternelle beauté. Que pourrais-je aussi dire de la Nuit ? Statue non pas extraordinaire, mais absolument unique. Qui a vu dans quelque siècle que ce soit des statues antiques ou modernes ainsi faites ? N’y reconnaît-on pas la quiétude du sommeil ainsi que la douleur et la mélancolie d’éprouver une pareille perte ? On croit que cette statue de la Nuit personnifie la véritable nuit dans laquelle étaient plongés tous ceux qui, pendant quelque temps, espérèrent, je ne dis pas surpasser Michel-Ange en sculpture et en dessin, mais simplement l’égaler. Cette figure reflète la somnolence que l’on voit chez les personnes endormies. Aussi plusieurs hommes lettrés composèrent-ils en son honneur des vers latins et italiens, comme ceux-ci dont on ne connaît pas l’auteur[1]:

La Notte, che tu vedi in si dolci atti

Dormire, fu da un Angelo scolpita
In questo sasso : e, perchè dorme, ha vita :
Destala, se no 'l credi, e parleratti.

auxquels Michel-Ange répondit au nom de la Nuit :

Grato mi è il sonno, e più l'esser di sasso :

Mentre che il danno e la vergogna dura,
  1. Attribués à Giovanbatista Strozzi. Traduction : La Nuit que tu vois dormir dans cette douce posture, — Fut sculptée par un Ange — Dans ce bloc ; comme elle dort, elle est en vie : — Éveille-la, si tu ne le crois pas, et elle te parlera.»