Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/431

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côté le charme des couleurs et d’autres délicatesses que bien d’autres peintres ont négligés, non sans raison. Certains, n’ayant pas suffisamment de sûreté dans le dessin, ont cherché à briller par la variété des teintes et des ombres en couleurs, par des inventions bizarres et variées ; mais Michel-Ange, s’appuyant avec fermeté sur le plus profond de l’art, a montré à ceux qui en ont déjà une grande connaissance comment on arrive à la perfection. Pour en revenir à la fresque, il l’avait déjà terminée aux trois quarts, quand un jour le pape Paul vint la voir, avec Messer Biagio da Cesena, maître des cérémonies et homme plein de scrupules. Comme on demandait à ce dernier ce qu’il lui en semblait, il dit que c’était une grande inconvenance d’avoir peint dans un lieu si vénérable tant de figures nues qui montraient leurs nudités d’une manière si déshonnête ; qu’au surplus c’était une œuvre plus digne d’une salle de bains ou d’une auberge que d’une chapelle papale. Ce propos déplut à Michel-Ange, et, voulant se venger, dès que Messer Biagio fut parti, il le représenta au naturel, sans l’avoir en personne devant lui, sous la figure de Minos dans les enfers, avec une grande queue enroulée autour des jambes, et entouré d’une foule de démons. Messer Biagio eut beau supplier le pape et Michel-Ange de le faire enlever de là, on le voit toujours, en souvenir de son propos malencontreux.

Il arriva dans ce temps que Michel-Ange tomba, de peu de hauteur, de son échafaudage et se fit mal à une jambe ; mais, de dépit et tout en colère, il ne voulut pas se laisser soigner. Maestro Baccio Routini, Florentin et son ami, qui était un médecin original et qui l’affectionnait beaucoup, ayant pris pitié de lui, alla un jour frapper à sa porte ; mais, ne recevant pas de réponse, ni des voisins ni de lui, il chercha à pénétrer par d’autres issues chez Michel-Ange, qu’il trouva à la fin, et qui était désespéré de son accident. Aussi Maestro Baccio ne voulut-il pas le quitter tant qu’il ne fut pas guéri. Étant enfin retourné à son œuvre, et y travaillant continuellement, Michel-Ange la conduisit à fin, en peu de mois, donnant tant de vigueur à sa peinture qu’il justifia le mot de Dante : morti li morti, i vivi parean vivi[1], et que l’on reconnaît aisément la misère des damnés et l’allégresse des bienheureux. Le Jugement dernier ayant été découvert, Michel-Ange non seulement montra qu’il avait surpassé les meilleurs maîtres qui avaient travaillé dans la chapelle, mais encore qu’il avait voulu se surpasser lui-même, après ses peintures de la voûte, qui l’avaient rendu si

  1. Purgatoire, chant 12, vers 67.