Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/432

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célèbre. Vraiment, il se surpassa lui-même, ayant imaginé la terreur de ce dernier jour, où celui qui a mal vécu est représenté dans tout son supplice. Dans les cieux, plusieurs figures nues portent la croix, la colonne, la lance, l’éponge, les clous et la couronne d’épines, dans des attitudes variées extrêmement difficiles et rendues avec beaucoup de facilité. Le Christ, à demi levé, se tourne vers les damnés avec un air irrité et terrible, les maudissant, non sans une grande crainte de la part de la Vierge qui se cache dans son manteau en entendant et en voyant une telle misère. En cercle autour de lui sont rangés quantité de prophètes, d’apôtres, en particulier Adam et saint Pierre, que l’on croit avoir été placés là pour représenter l’un la raison première qui amène l’humanité au jugement et l’autre le premier fondement de la religion chrétienne. Au-dessous d’eux, saint Barthélémy montre sa peau écorchée ; on voit également la figure nue de saint Laurent, avec un nombre infini de saints et de saintes, d’autres figures, hommes et femmes, de tous côtés, qui s’embrassent pleins d’allégresse, pour avoir obtenu, par la grâce divine, et en récompense de leurs actions, la béatitude éternelle. Aux pieds du Christ sont les sept anges décrits par saint Jean l’évangéliste, avec sept trompettes qui, lançant leurs appels, font dresser les cheveux à qui les regarde, par l’aspect terrible de leur visage. Deux autres anges tiennent les livres de la Vie et de la Mort, et au-dessous on voit un terrible combat entre les sept péchés capitaux figurés par autant de démons, et les âmes qui tombent dans les enfers ou s’envolent au ciel dans d’admirables attitudes et avec des raccourcis merveilleux. Michel-Ange n’a pas manqué, dans la résurrection des morts, de les montrer au monde tirant leurs os et leur chair de la terre, et s’envolant avec l’aide d’autres vivants, tandis que des âmes déjà sauvées leur prêtent leur appui. On ne saurait dire combien chaque chose est à sa place et convient parfaitement à son sujet, par suite des études es des essais sans nombre que Michel-Ange a consacrés à toute son œuvre, comme on peut s’en rendre compte par la barque à Caron. Dans une attitude de réprobation, il frappe avec sa rame les âmes entraînées par les démons, en parfaite concordance de ces vers de Dante, dont Michel-Ange était un lecteur assidu :

Caron demonio con occhi di bragia,

Loro accennando, tutte le raccoglie :

Batte col remo qualunque s’adagia[1].
  1. Enfer, chant 3, vers 109. Caron le démon, aux yeux de braise, rassemble toutes les âmes, en leur faisant signe ; il bat de sa rame celles qui restent en retard.