Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/433

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On ne saurait imaginer quelle variété il y a dans les têtes de ces démons, vrais monstres d’enfer. Dans les pécheurs, on reconnaît tout à la fois le péché commis et la crainte du châtiment éternel. N’est-il pas merveilleux, en outre, de voir avec quelle extraordinaire beauté cette œuvre est peinte et exécutée, offrant une telle unité qu’elle paraît avoir été faite en un jour, et un tel fini que jamais aucune miniature ne fut tant achevée. En vérité, la multitude des figures, la grandeur et l’aspect terrible de l’œuvre sont tels qu’on ne saurait les décrire ; on voit toutes les passions humaines et toutes merveilleusement rendues. Ainsi les superbes, les envieux, les avares, les luxurieux et autres pécheurs seront reconnus aisément par tout bon esprit, grâce à l’aspect, à l’attitude et à toute autre circonstance naturelle, avec lesquelles on les a représentés, chose qui, bien que merveilleuse et grande, n’était pas impossible pour un pareil homme, qui fut toujours sage et avisé, qui avait vu quantité de ses semblables et acquis cette connaissance et cette pratique du monde que les philosophes contractent par la spéculation et l’étude des livres. Tout homme judicieux et qui s’entend à la peinture verra la vigueur de cet art, et dans ces figures découvrira des pensées et des passions qui ne furent jamais peintes par un autre que lui. Il verra, en outre, comment on doit varier les attitudes parmi tant de figures jeunes, vieilles, masculines et féminines, et allier la vigueur de l’art avec la grâce qu’elles ont dans la nature. Connaisseurs ou non, il vous fait battre le cœur. On voit dans cette fresque des raccourcis qui paraissent en relief, et qui par leur harmonie donnent à l’ensemble beaucoup de douceur. Cette œuvre est faite pour décourager ceux qui croient savoir quelque chose. Vraiment heureux celui qui a pu voir cette étonnante merveille de notre siècle ! Vraiment heureux et fortuné, ô pape Paul III, puisque Dieu consentit qu’avec ta protection cet homme t’attirât les louanges que te donnent, ainsi qu’à lui, les plumes des écrivains ! Que ton mérite grandit grâce à ses travaux !

Cette œuvre demanda à Michel-Ange huit années de travail et il la découvrit, à ce que je crois, l’année 1541, le jour de Noël, à la grande stupeur de toute la ville de Rome, ou plutôt du monde entier. Pendant que j’étais à Venise, j’allai à Rome cette année-là pour la voir, et je restai stupéfait.

Le pape Paul avait fait construire, comme on l’a dit dans la Vie d’Antonio da San Gallo, au même étage que la chapelle Sixtine, une chapelle appelée la Pauline, sur le modèle de celle de Nicolas V ; il décida que Michel-Ange y peindrait deux grands sujets enca-