Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/436

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ses aiguilles et ses minuties, cette œuvre tenait bien plus du gothique que du bon mode antique, ou de la belle et gracieuse manière moderne. Il ajoutait qu’on pouvait épargner cinquante années de travail pour la terminer, et plus de trois cent mille écus, tout en la conduisant avec plus de majesté, de grandeur, de facilité, avec un dessin plus considérable dans les ordres, enfin avec plus de beauté et de commodité. Il le prouva ensuite, en faisant un modèle, dans la forme où l’on voit aujourd’hui l’œuvre terminée, et il fit bien voir que ce qu’il disait était entièrement vrai. Ce modèle coûta vingt-cinq écus et fut fait en quinze jours[1]. Celui de San Gallo avait dépassé quatre mille écus, comme nous l’avons dit, et avait mis plusieurs années à être exécuté. Des deux manières d’opérer, on peut conclure que cette construction était une boutique ouverte et un trafic à gain. On la traînait en longueur, avec l’intention de ne jamais la terminer, et c’était un véritable accaparement. Ces abus ne plaisaient pas à cet homme de bien, et, pour les faire disparaître, après que le pape l’eût obligé à accepter l’office d’architecte de cette œuvre, il dit un jour ouvertement à toute la bande qu’ils eussent à se pourvoir ailleurs, et que désormais ils ne faisaient plus partie de la direction ; que, puisqu’on l’en avait chargé, il ne voulait aucun d’eux dans la construction. Cet affront public les irrita, comme c’est facilement croyable, et fut cause qu’ils lui vouèrent une telle haine, qui n’alla qu’en augmentant quand ils le virent tout modifier à l’intérieur et à l’extérieur du monument, qu’ils cherchèrent continuellement à le tourmenter et à lui nuire, comme on le racontera plus tard.

Finalement, le pape Paul III édicta un bref[2], par lequel il le nommait chef de la construction, avec entière autorité et pouvoir de faire et de défaire ce qui existait, augmenter, diminuer et modifier toute chose à son gré ; il voulut que le conseil de fabrique fût soumis à sa volonté. Michel-Ange, voyant l’entière confiance que le pape lui témoignait, voulut, pour montrer son désintéressement, qu’il fût dit, dans le bref, qu’il servait la fabrique pour l’amour de Dieu et sans aucun salaire, bien que le pape lui eût primitivement donné le passage du Pô, à Plaisance, qui rapporte six cents écus. Il le perdit à la mort du duc Pier Luigi Farnèse, et on lui donna en échange un office de chancellerie, à Rimini, qui rapportait beaucoup moins. D’ailleurs, il s’en souciait fort peu, et, bien que le pape lui eût fréquemment envoyé de l’argent pour cette charge, il ne voulut jamais l’accepter, comme

  1. Ce modèle est conservé dans la fabrique de Saint-Pierre.
  2. Le 1er janvier 1547.