Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/442

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que fussent leur valeur et leur renommée, allassent le voir dans sa maison. Il lui portait une telle estime, et avait pour lui tant de respect que, de peur de le molester, il n’osait pas lui demander bien des choses que Michel-Ange, malgré sa vieillesse, aurait pu faire. Du temps du pape Paul III, et par son ordre, Michel-Ange avait commencé à reprendre en œuvre le pont Santa Maria, à Rome[1], qui, à cause du courant des eaux, et de son antiquité, s’était affaibli et menaçait ruine. Il décida de refaire les fondations au moyen de caissons, et de faire d’urgentes réparations aux piles ; il en avait déjà terminé une grande partie et fait de grosses dépenses en bois et en pierres de travertin, quand, sous le pape Jules III, les clercs de la chambre s’étant rassemblés pour délibérer sur les travaux de terminaison, Nanni di Baccio Bigio, architecte, leur proposa de finir le pont en peu de temps, et avec peu d’argent, si on le lui donnait à forfait. Les clercs affectaient de dire, comme si cela fût dans son intérêt, qu’il fallait décharger Michel-Ange de cette entreprise, à cause de sa vieillesse, qu’il ne s’en occupait pas, et que, la chose étant ainsi, on n’en verrait jamais la fin. Le pape, qui n’aimait pas les discussions, et qui ne pensait pas à ce qui allait en sortir, autorisa les clercs de la chambre à faire comme bon leur semblerait, et ceux-ci confièrent l’entreprise[2], en toute liberté d’action, avec tous les matériaux à Nanni, sans en rien dire à Michel-Ange. Nanni n’eut pas le soin de renforcer les parties faibles du pont, comme c’était nécessaire ; il l’affaiblit au contraire, pour vendre une grande quantité de pierres de travertin, qui primitivement étayaient le pont et le rendaient plus solide, grâce à leur poids. Il les remplaça par des galets et du blocage renfermé entre deux maçonneries, de sorte que de l’extérieur ou de l’intérieur, on ne voyait aucun défaut, et que le pont paraissait refait à neuf. Mais cinq ans plus tard, survint la crue de l’année 1557, et le pont, totalement affaibli et aminci, versa de manière à montrer le peu de jugement des clercs de la chambre, au grand dommage qu’en éprouva la ville de Rome, parce qu’on s’était écarté du plan de Michel-Ange. Celui-ci avait prédit souvent la ruine du pont à ses amis et à moi, et je me souviens que, passant dessus à cheval, il me disait : « Giorgio, ce pont tremble, pressons le pas pour qu’il ne tombe pas, pendant que nous sommes dessus. »

Déjà du temps du pape Paul III, le duc Cosme avait envoyé le Tribolo à Rome pour tâcher de persuader Michel-Ange de revenir à

  1. Dans les deux derniers mois de 1548, et le premier mois de 1549.
  2. Le 3 juillet 1551.